Lutter contre le gaspillage alimentaire : une recette pour le changement 

Des sous-titres en français sont disponibles.

Environ 1,3 milliard de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année, environ un tiers des aliments comestibles produits dans le monde. Environ 940 milliards de dollars par an, en gaspillage économique. En dollars américains, c’est le coût des pertes et gaspillages alimentaires chaque année.

Si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde.

Je suis la professeure Heather McLeod-KilMurray. Je suis codirectrice du Centre du droit de l’environnement de la durabilité mondiale à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

J’ai commencé à étudier les questions relatives aux systèmes alimentaires durables avec ma collègue, la professeure Natalie Chalifour alors que le droit de l’alimentation était à ses balbutiements au Canada. Il y a beaucoup de recherches sur l’alimentation dans d’autres facultés et départements, mais pas dans le domaine juridique.

La perte et le gaspillage alimentaires sont des questions qui suscitent beaucoup d’intérêt, tant au niveau national qu’international. Mais il n’existe pas de définition claire. Les pertes alimentaires sont généralement considérées comme des aliments qui ne parviennent pas jusqu’au marché ou au consommateur. C’est-à-dire au stade de la production, du transport et de la transformation. Quant aux déchets alimentaires, ils se situent au niveau du consommateur et de la post-consommation. C’est ainsi que certaines organisations le définissent. Toutefois, d’aucuns soutiennent qu’il s’agit simplement de déchets et que nous devrions les considérer comme un problème global.

Le nombre de personnes vivant dans l’insécurité alimentaire, tant au Canada que dans le reste du monde, a augmenté, en particulier au cours des années de pandémie. Certains affirment que la solution à l’insécurité alimentaire et à la faim est d’augmenter continuellement la production alimentaire, et les suggestions se concentrent souvent sur des solutions technologiques et sur l’augmentation et l’industrialisation de la production alimentaire.

Avant d’adopter ces mesures, qui peuvent avoir un impact considérable sur l’environnement, l’idée est de commencer par essayer de réduire le gaspillage alimentaire avant d’augmenter la production.

Le système alimentaire industrialisé que nous connaissons dans le monde entier est généralement caractérisé par un véritable engagement en faveur de la surproduction systémique. La production d’aliments qui sont ensuite jetés à la poubelle consomme un nombre important de ressources environnementales : d’énormes quantités d’eau, la déforestation pour créer des terres arables pour produire des céréales et différents types de viande, etc. Toutes ces ressources sont donc gaspillées, tout comme cette carotte ou ce morceau de poulet que vous jetez à la poubelle, ainsi que le travail des agriculteurs et des autres acteurs du système alimentaire.

Au Canada, il n’existe pas de loi globale au niveau fédéral concernant le gaspillage alimentaire, la fixation d’objectifs, l’obligation de mesurer, etc. Il n’y a tout simplement pas de loi, pas de politique.

Le gouvernement fédéral agit de plus en plus en fournissant des ressources pour la recherche et le développement de technologies permettant de lutter contre les pertes et les déchets alimentaires. Nous avons des programmes d’encouragement pour sensibiliser les consommateurs et d’autres choses de ce genre, mais nous n’avons pas beaucoup de lois et de politiques.

Nous avons travaillé avec une ONG appelée Reimagine Agriculture, ainsi qu’avec ma collègue, la professeure Patricia Galvão Ferreira de l’université Dalhousie. Au cours des deux dernières années, nous avons travaillé avec des étudiants, en leur demandant d’essayer de comprendre ce qui se passe avec les pertes et les déchets alimentaires au Canada, ce qui se passe au niveau international, quelles sont les meilleures pratiques, en essayant de créer une petite base de données et en espérant produire des notes d’orientation et même des projets de loi pour aider à faire avancer les choses. J’ai également travaillé récemment avec certains services alimentaires et le bureau de la durabilité sur le campus de l’Université d’Ottawa, et ils font beaucoup en ce moment sur le campus, pour s’attaquer à ce problème, de l’emballage aux déchets alimentaires eux-mêmes.

De nombreuses innovations sont en cours, ce qui est vraiment passionnant. Et si nous pouvions amener ces grands fournisseurs institutionnels de denrées alimentaires à modifier certains de leurs systèmes pour réduire les pertes et les déchets alimentaires, cela aurait un impact énorme, car ils approvisionnent les universités, les prisons, les hôpitaux, et bien d’autres choses encore. Il s’agit donc d’une autre partie de notre projet.

L’un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés en matière de gaspillage alimentaire est le manque de sensibilisation. Je pense donc que la sensibilisation est l’une des choses les plus importantes que nous puissions faire dans l’ensemble du système alimentaire.

D’autre part, il y a des choses extraordinaires qui se font au niveau provincial, et en particulier au niveau municipal. De nombreuses villes font des choses formidables, mais il y a un manque de coordination.

Quel rôle les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient-ils jouer dans la coordination de certaines de ces pratiques exemplaires au Canada et même dans différents pays à l’échelle internationale ?

J’espère que comme société nous aborderons les enjeux liés au système alimentaire et que nous nous dirigerons vers un système alimentaire plus circulaire, un système alimentaire plus durable, afin que nous puissions nous attaquer aux multiples inconvénients de notre approche actuelle, les inconvénients environnementaux, les inconvénients pour la sécurité alimentaire, les inconvénients pour le climat, et les transformer en éléments positifs afin que nous puissions avoir moins de gaspillage alimentaire, moins d’insécurité alimentaire et moins d’impact sur le changement climatique en raison de quelque chose que nous devons tous faire trois fois par jour.

Environ 1,3 milliard de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année. Les pertes sur le plan économique et les conséquences du gaspillage alimentaire sur l’environnement sont des problèmes que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer. 

La professeure Heather McLeod-Kilmurray, codirectrice du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale à l’Université d’Ottawa, prône l’instauration de systèmes alimentaires durables depuis 2016, lorsque le droit alimentaire n’était pas encore un domaine établi en études du droit canadien. Aujourd’hui, elle tente de corriger les lacunes dans les lois et les politiques liées aux aliments que nous consommons et à ceux que nous ne consommons pas, et elle s’efforce de sensibiliser le corps législatif et la population canadienne en général à l’importance de mettre en place des systèmes alimentaires durables et qui tiennent compte de l’enjeu du gaspillage.  

Les pertes et le gaspillage alimentaires sont des sujets qui retiennent de plus en plus l’attention, ici comme à l’étranger. Cela dit – signe de tout le chemin qu’il nous reste à parcourir –, il n’existe toujours pas de définition claire et universellement acceptée de « gaspillage alimentaire ». Généralement, on utilise le terme « perte alimentaire » pour désigner tout aliment perdu ou qui pourrit pendant la production ou le transport vers l’épicerie, tandis que « gaspillage alimentaire » s’entend des aliments en épicerie que personne n’achète ou qui pourrissent – du moins, qui ne sont pas consommés – après avoir été achetés. Somme toute, la quantité de nourriture qui n’est jamais consommée est considérable. 

Au Canada, aucune loi fédérale ne réglemente adéquatement le gaspillage alimentaire. Par conséquent, nous n’avons aucun moyen uniformisé de mesurer la quantité de nourriture gaspillée (ni la façon dont elle est gaspillée). Nous n’avons pas non plus de cibles concrètes à atteindre, lesquelles pourraient permettre d’assujettir le secteur de la production alimentaire et les détaillants à certaines obligations ou faire hésiter la population à jeter une banane ayant commencé à brunir. 

Le problème est évidemment plus large que ces quelques aliments jetés à la poubelle à la maison ou laissés pour compte à l’épicerie. L’insécurité alimentaire a monté en flèche pendant la pandémie. Mais quand on tente de régler la situation en voulant accroître la production alimentaire, on ne s’attaque pas à la source du problème. Selon les données actuelles, on produit suffisamment de nourriture dans le monde pour nourrir convenablement l’ensemble de la population. Si l’augmentation de la production résout partiellement le problème, elle contribue aussi à une hausse des pertes et du gaspillage alimentaires. Les conséquences sur l’environnement d’un accroissement de la production et du gaspillage sont graves. À lui seul, le gaspillage alimentaire est responsable d’une quantité phénoménale de gaz à effet de serre. 

La professeure McLeod-Kilmurray et ses collègues, dont la professeure Nathalie Chalifour de l’Université d’Ottawa, la professeure Angela Lee de l’Université métropolitaine de Toronto et Patricia Galvão-Ferreira de l’Université de Windsor, essaient de changer les choses. En partenariat avec l’ONG Reimagine Agriculture, les professeures McLeod-Kilmurray et Galvão-Ferreira travaillent notamment avec des étudiantes et étudiants à brosser le portrait des pertes et du gaspillage alimentaires au Canada en examinant les pratiques ayant cours ailleurs dans le monde et en développant une base de données pour suivre celles qui nous permettent de voir toute l’étendue du problème. L’objectif de l’équipe est de rédiger des exposés de politiques et même un avant-projet de loi pour s’attaquer au problème. 

La professeure McLeod-Kilmurray s’inspire aussi des provinces et des municipalités qui se mobilisent contre le gaspillage alimentaire de toutes sortes de manières créatives. Le progrès est chose possible, mais il est de plus en plus nécessaire que le gouvernement fédéral et les provinces coordonnent leurs efforts et mettent en commun leurs pratiques exemplaires. La professeure McLeod-Kilmurray s’intéresse aux pertes et au gaspillage alimentaires au Canada, au Royaume-Uni et au Brésil, et souhaite mettre au point des stratégies mondiales de réduction du gaspillage alimentaire. De plus, elle travaille directement avec l’Université d’Ottawa, où elle étudie la façon dont les efforts consentis sur le campus pour lutter contre le gaspillage alimentaire pourraient être déployés à plus grande échelle afin d’influencer les importants distributeurs alimentaires sur le marché institutionnel.  

Le gaspillage alimentaire est un problème parce que la population n’y est pas suffisamment conscientisée, entre autres. La plupart d’entre nous ne connaissent pas ou ne veulent pas reconnaître les conséquences de jeter à la poubelle une pêche légèrement meurtrie ou de passer au peigne fin le rayon des yogourts pour trouver celui dont la date de péremption est la plus éloignée. La professeure McLeod-Kilmurray espère exposer l’impact de ces petits gestes. Il pourrait découler de cette transformation une réduction du gaspillage alimentaire, une augmentation de la sécurité alimentaire et des répercussions substantielles sur les changements climatiques – un objectif que nous pouvons tenter d’atteindre un repas à la fois. 

Merci à Safi Fine foods d’avoir mis à notre disposition un lieu magnifique pour le tournage de cette capsule.   

Références et liens utiles
A propos de la chercheuse

Restez au fait de nos dernières actualités et publications