Crimes d’agression sexuelle : un système qui protège les accusés?

L’agression sexuelle est un crime qui, en fait, est défini en son cœur par une intimité sexuelle ou des attouchements sexuels qui sont faits sans le consentement d’une des parties. Donc, la ligne entre ce qui est permis en vertu de la loi et ce qui n’est pas permis par la loi repose sur la présence ou l’absence du consentement. Si on ajoute que dans bien des cas, les agressions ont lieu dans des circonstances où il n’y a pas d’autres témoins, les victimes vont être moins portées à dénoncer. Ça c’est au départ, d’emblée, la victime qui se questionne, qui dit « je ne suis pas sûre si les gens vont me croire ». Malheureusement, les victimes n’ont pas tort d’avoir ce point de vue et ce réflexe de dire « est-ce que je veux vraiment dénoncer ce qui m’est arrivé alors qu’il y a plein de choses qui pourraient miner ma version des faits? »

La Cour suprême a dit à maintes reprises déjà que la loi canadienne ne permet pas le recours à des stéréotypes pour juger les personnes dans des cas d’agressions sexuelles, et on sait très bien que, historiquement, il y avait toujours tendance à chercher la faute chez la victime d’abord, parce qu’on prenait pour acquis que généralement, s’il y avait un problème, c’était probablement la femme. Donc il fallait être vraiment la victime, et on dit ça entre guillemets, « parfaite » pour réussir à avoir une condamnation.

La victime parfaite fait un certain nombre de choses que, ensuite, on va comparer à l’autre. C’est là la source de presque tous les stéréotypes. On sait très bien que cette personne-là n’existe pas. C’est très clair. La façon par laquelle le droit a évolué, c’était vraiment pour progressivement éliminer ces raisonnements qui sont très faciles. Même de nos jours, il y a beaucoup de personnes qui se livrent à ces raisonnements-là, même s’ils ne vont pas l’avouer directement. Alors quand la Cour suprême dit qu’on ne devrait pas se livrer à ce genre de jugement, à imposer des conditions ou des comportements particuliers aux victimes d’agressions sexuelles, dans la réalité, le système de justice criminelle est appliqué par des personnes, et pas toutes les personnes sont, malheureusement, en mesure d’intégrer les règles juridiques ou de résister aux intuitions qui nous viennent entre autres par la socialisation, mais aussi parce qu’on a certains réflexes, chez l’être humain, pour simplement comprendre et rationaliser des événements.

Nous avons un système judiciaire qui est accusatoire. Un système de justice accusatoire est organisé de la façon suivante : vous avez la Couronne, qui représente l’État et essentiellement la collectivité, et à qui incombe le devoir de rendre justice. Ce qui ne veut pas dire obtenir une condamnation nécessairement, mais de faire la preuve et d’expliquer au tribunal pourquoi les éléments de l’infraction sont établis. C’est à la Couronne qui incombe cette obligation de prouver hors de tout doute raisonnable. La défense a un devoir différent : c’est bien sûr de défendre les intérêts de l’accusé et de tester ce que la Couronne va présenter en preuve. Mais essentiellement, c’est aux parties – c’est la compétition ou le concours entre la Couronne et la défense qui va faire ressortir la vérité. La victime dans un cas d’agression sexuelle sera témoin de la Couronne, et la question, dans la vaste majorité des cas, va reposer sur l’existence ou l’absence de consentement et l’appréciation du consentement par l’accusé. Selon la Cour suprême, on établit l’existence du consentement de la part de la victime de la perspective subjective de la victime, donc, ce que dans son for intérieur elle a ressenti. Dans le contexte de l’agression sexuelle, la Couronne va également chercher à ce que la victime décrive comment elle a communiqué son absence de consentement, si elle a pu, ou qu’elle explique comment elle s’est comportée. Une fois que la Couronne a fait dégager ces éléments-là, ces affirmations sont mises en preuve, mais elles sont testées par la défense. La défense va essayer de trouver des trous ou des failles, ou des éléments qui ne sont pas cohérents dans les témoignages. Ensuite, selon la décision de la défense, l’accusé va témoigner. Généralement, un accusé qui va prendre la parole dans son procès en sa défense, c’est pour offrir une version complètement différente de la victime, ou complètement différente sur le point le plus important, qui est généralement l’absence ou la présence du consentement. Ce qu’on va voir dans ce concours, c’est une opposition de versions. Or, dans notre système accusatoire de droit criminel, il n’y a pas une égalité entre la Couronne et la défense. Il y a une asymétrie, et ça c’est exprès : l’accusé bénéficie de tout doute, et donc est en fait dans une position où il suffit d’attaquer un petit peu et on va soulever un doute raisonnable, et ce doute va nous bénéficier. Et dans ce contexte-là, le fait qu’on croit la victime n’est pas nécessairement déterminant. Alors généralement, du coup qu’on croit l’accusé, il y a quelque chose qui va tomber du côté de la preuve la Couronne.

Or, je pense qu’il faut être réalistes. Notre système de droit pénal est conçu d’une certaine manière – il est conçu pour mettre le fardeau sur l’État pour démontrer la culpabilité d’une personne, et dans ce contexte-là, on va insister sur un fardeau élevé et on va donner tous les moyens de défense à la défense. Je ne pense pas qu’on va arriver à avoir une norme de preuve autre que la preuve hors tout doute raisonnable en matière pénale.

La question qui se pose par rapport à l’agression sexuelle et les manières de traduire en justice sont peut-être plus prometteuses si on envisage des procédures qui ne sont pas criminelles, mais en fait des procédures qui sont civiles ou administratives. À ce moment-là, on pourrait dire « oui, on parle d’un fardeau de preuve différent ». Mais bien sûr, les conséquences seraient différentes aussi. On ne peut pas priver quelqu’un de sa liberté si on ne respecte pas les principes de justice fondamentale dans le système de justice criminelle.

Une procédure ou un tribunal spécialisé offrirait la chance de donner une place plus importante à la victime, de la mettre au cœur de ce qui se produit et de s’assurer que les procédures que ce tribunal emprunterait seraient informées par la recherche qui a été faite sur comment les gens réagissent en fonction des traumatismes. En fait, il faudrait vraiment intégrer à l’intérieur même du fonctionnement du tribunal une sensibilité aux réalités de qui sont les victimes d’agressions sexuelles et comment elles vivent ce processus. Il faut envisager comment avancer en tant que société.

Le faible taux de dénonciation et de condamnation pour les crimes d’agression sexuelle est un enjeu brulant d’actualité. Le système de justice criminel canadien impose à la Couronne un niveau de preuve « hors de tout doute raisonnable » pour toute condamnation d’un crime d’agression sexuelle. Dans les dernières années, et particulièrement depuis l’affaire Rozon, ce niveau de preuve élevé fait l’objet d’interrogations dans les médias.

Dans cette vidéo, des étudiantes en droit vont à la rencontre de la professeure Jennifer Quaid afin de mieux comprendre les principales difficultés rencontrées par les victimes d’agressions sexuelles et les limites du système pénal canadien pour traiter ces dossiers. Elles exposent la complexité du processus judiciaire et la position désavantageuse des victimes à l’égard du principe de présomption d’innocence en droit criminel, ainsi que les préjugés en matière de preuve et de crédibilité des témoins. Ces obstacles sont bien réels, et c’est pourquoi la mise en place d’un tribunal spécialisé, comme le recommande le Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale, pourrait s’avérer une piste de solution pour apporter des changements structurels au système de justice en faveur des victimes d’agressions sexuelles. 

Cette vidéo de plaidoirie visuelle a été réalisée par les étudiantes en droit Arianne Patenaude, Katherin Scarlet Guerra Guevara et Maude Ouellet à titre de projet dans le cadre du cours Plaidoirie visuelle / Droit et cinéma proposé à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Section de droit civil.

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