Il existe des millions d’apatrides dans le monde – des personnes qui ne sont reconnues comme citoyens dans aucun pays. Longtemps considérée comme une question étroitement liée à la migration, la recherche de la professeure Jamie Liew sur l’apatridie innove en explorant les limbes juridiques d’un sous-groupe de personnes sans citoyenneté qui sont légalement sans abri malgré des liens étroits avec un lieu distinct qu’elles considèrent comme leur chez-soi.
Des recherches sur le terrain pour étudier l’apatridie
La professeure Liew s’intéresse à une catégorie spécifique d’apatrides qu’elle appelle des « citoyens fantômes ». Les citoyens fantômes sont des apatrides qui prétendent vivre dans leur « propre » pays ou pays d’origine, mais qui ne sont pas reconnus comme citoyens par ce pays. Ces personnes peuvent avoir des liens profonds et significatifs avec ce pays « d’origine » – elles peuvent avoir de la famille qui y vit depuis de nombreuses générations, des enfants ou des parents qui y sont nés, ou elles peuvent être employées dans ce pays. Ce qui leur manque, c’est une forme d’identité légale qui les rattache à l’endroit qu’elles considèrent comme leur chez-soi.
Fascinée par la différence de traitement entre les apatrides et les réfugiés, la professeure Liew a mené des recherches sur le terrain pour expliquer pourquoi la communauté internationale n’a pas abordé la question de l’apatridie avec la même rigueur que celle de la protection des réfugiés. S’appuyant sur des méthodologies et théories sociojuridiques, ethnographiques, féministes et la théorie critique de la race (critical race theory), elle veille tout particulièrement à privilégier le point de vue des apatrides et des anciens apatrides, ainsi que celui de leurs familles et de leurs défenseurs. L’intérêt de la professeure Liew pour ce sujet est né de son expérience personnelle. Ses propres parents ont immigré au Canada depuis Brunei, et son père n’a pas obtenu la citoyenneté lorsqu’il est né à Brunei, ce qui l’a rendu apatride. C’est ce qui l’a incitée à entreprendre la première étude de cas approfondie sur les racines historiques et institutionnelles de l’apatridie en Malaisie.
Ghost Citizens : examiner les système qui confèrent ou refusent la citoyenneté
Au début de l’année, la professeure Liew a publié Ghost Citizens : Decolonial Apparitions of Stateless, Foreign and Wayward Figures in Law (Fernwood Publishing), qui examine les systèmes juridiques et administratifs dont les États postcoloniaux ont hérité et qu’ils continuent d’utiliser pour conférer ou refuser la citoyenneté. L’ouvrage met en lumière la manière dont les personnes sont rendues apatrides dans les bureaux gouvernementaux, les bureaux d’enregistrement et les guichets où les personnes demandent des cartes d’identité et la citoyenneté. Il explore également les accords conclus par les minorités raciales dans la Malaisie naissante et la manière dont ces accords ont conduit à des cadres constitutionnels et juridiques qui reproduisent des notions différenciées et hiérarchiques de la citoyenneté. Cet ouvrage apporte un nouveau regard sociojuridique sur la question, en montrant comment les interactions et les rencontres avec les bureaucrates du gouvernement doivent être examinées parallèlement à toute étude appelant à une réforme juridique.
Ghost Citizens est en fait le deuxième livre que la professeure Liew a publié sur l’apatridie. En 2022, elle a publié son premier roman, Dandelion (Arsenal Pulp Press), qu’elle a écrit pendant qu’elle effectuait ses recherches sur le terrain, afin d’explorer les émotions qu’elle ressentait en découvrant des histoires d’apatridie. Dans ce roman, une nouvelle mère est obsédée par l’idée de découvrir le mystère de la disparition de sa propre mère. En quête de réponses, elle voyage d’une petite ville minière de Colombie-Britannique à l’Asie du Sud-Est sur les traces de sa mère, tout en réexaminant son sentiment d’appartenance. Cette fiction littéraire intègre des concepts sociojuridiques, raciaux et féministes dans les arcs des personnages et de l’intrigue afin d’explorer le rôle de la loi dans l’élaboration des idées sur la construction de la nation, la communauté et la construction de l’identité raciale et citoyenne d’une personne.
Bien que l’autrice et le protagoniste partagent certains détails, le roman n’est pas autobiographique. Il s’inspire plutôt de la profonde réflexion du professeur Liew sur les effets de l’apatridie, les expériences des immigrants et le caractère insaisissable du sentiment d’appartenance. Le manuscrit de Dandelion a remporté le Asian Canadian Writers’ Workshop, Jim Wong-Chu Emerging Writers’ Award, ce qui a conduit à sa publication chez Arsenal Pulp Press. Depuis sa publication en avril 2022, le professeur Liew a figuré sur la liste Canada Reads de la CBC en 2023 et le livre a été largement discuté dans la presse écrite, en ligne, ainsi qu’à la radio et à la télévision.
Pour en savoir plus
Ultimement, le travail de la professeure Liew démontre que ce sont les gens eux-mêmes qui savent le mieux qui ils sont et que nous pouvons apprendre beaucoup en les écoutant, plutôt qu’en confiant l’idée d’« appartenance » uniquement aux États. La professeure Liew a récemment été invitée à discuter de l’apatridie, des citoyens fantômes et de ses publications avec Nahlah Ayed dans le cadre de l’émission Ideas à la radio de CBC. Écoutez l’épisode complet ici (en anglais).