Les entretiens de la doyenne : Une vision pour la Cour suprême

Dans cette vidéo, le juge en chef s'assoit avec la doyenne Marie-Eve Sylvestre pour décrire sa vision de la Cour.

M-E : Bonjour monsieur juge en chef.

RW : Bonjour Maître Sylvestre.

M-E : C’est un plaisir de vous accueillir, toujours un plaisir de vous revoir ici à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

RW : C’est toujours un petit bonheur quand je reviens ici.

M-E : Vous êtes ici un peu chez vous.

RW : Tout à fait, tout à fait.

M-E : On a eu l’impression comme juge en chef que vous aviez une vision de la Cour qui était proche des gens. Est-ce que ça a présenté des défis particuliers pour la Cour suprême ?

RW : C’est sûr que la Cour suprême comme telle, je me suis donné comme mission en devenant juge en chef que je voulais une plus grande communication avec les citoyens mais avec également les acteurs principaux, les professeurs, les juges d’instance, les médias d’information. Et la pandémie, en utilisant la technologie, dans un certain sens, c’est en ligne avec la nouvelle technologie, en d’autres mots, les médias sociaux. On a un compte Twitter, on a un compte Facebook, on a nos causes en bref, en anglais cases in brief, qui sont disponibles sur notre site web. Donc, l’électronique a continué de fonctionner, nos médias sociaux également, même notre revue annuelle. Vous savez depuis que j’ai commencé mon mandat, on a une revue annuelle de nos activités qui est sur notre site web. Tout ça part d’un objectif que je m’étais fixé de faire connaître le milieu judiciaire, les juges, les tribunaux auprès de la population. Avec mes années au barreau, j’ai quand-même plaidé pendant 25 ans et j’ai été impliqué beaucoup au Barreau du Québec, Barreau de Montréal, création du CAIJ, plusieurs années à la Cour supérieure en droit civil, commercial, criminel. J’ai l’intime conviction, j’en suis convaincu, et j’espère que je le serai toujours, qu’on a probablement un des meilleurs systèmes juridiques et judiciaires du monde, pour avoir visité beaucoup de pays également, et on a des juges excessivement bien formés. Alors, moi je pars de cette prémisse-là. Et dans les dernières années, j’ai réalisé qu’à cause des médias sociaux, qui ont changé la donne depuis 25-30 ans, l’information ou la connaissance sur le système judiciaire, sur les tribunaux, sur les juges, sur les professeurs de droit aussi, on peut les inclure aussi, n’est pas suffisante et a changé parce que, évidemment, les médias traditionnels ont rapetissé, prennent moins d’espace. Et je suis venu à la conclusion que l’information n’était pas nécessairement accessible pour tout le monde et on doit, on doit informer les gens de notre système judiciaire, on doit maintenir la crédibilité des gens dans le système judiciaire parce que quand ça va arrêter ça, si jamais ça s’arrêtait un jour, c’est le début de la fin, c’est l’anarchie. Ça dépend de très peu de choses et puis la meilleure façon de maintenir ça, c’est d’informer les gens, de faire connaître qui nous sommes, parce qu’on n’a rien à cacher. Au contraire, on a tout à gagner en se faisant connaître. Alors, c’est avec cette philosophie-là que j’ai abordé mon mandat comme juge en chef, faire connaître nos décisions—causes en bref, revue annuelle, faire connaître les juges, conférences, communiquer avec les gens, ce qui a expliqué évidemment notre voyage à Winnipeg l’année passée, qui était une grande première. Moi, je me disais pourquoi on ne sortirait pas d’Ottawa puis aller voir dans différentes provinces, permettre aux gens qui ne peuvent pas venir à Ottawa assister à une audition de savoir ça l’air de quoi une audience devant les juges, comment ils font leur travail ? Et puis, les gens quand ils vont comprendre et puis ils vont voir comment on fait notre travail, je suis convaincu qu’ils vont maintenir leur confiance dans le système juridique. Donc, cet effort-là de communication, en anglais on dirait reaching out, vis-à-vis les populations, qui englobent aussi les médias d’information, les professeurs, les juges d’instance etc., et je pense que c’est la voie à suivre pour maintenir la crédibilité du système dans un milieu et dans une ère où les gens sont cyniques rapidement et puis on n’a pas besoin d’aller bien loin dans le monde pour réaliser que dans les dernières années il y a des choses épouvantables qui sont arrivées. On a détourné l’exercice de la règle de droit. On a contaminé l’air ambiant au niveau du domaine judiciaire en attaquant les juges, en attaquant la règle de droit, la démocratie, et ça c’est très dangereux. Alors, il faut se protéger contre ça en en parlant puis en faisant l’effort.

M-E : Mais justement en fait vous disiez que la magistrature canadienne est peut-être, bien le système judiciaire canadien est peut-être un des meilleurs au monde ou a certainement un rayonnement extraordinaire. Est-ce que vous voyez que vous comme Juge en Chef du Canada et la magistrature canadienne dans son ensemble a un rôle de leadership à jouer sur la scène internationale ?

RW : Moi, je pense que oui. De plus en plus, à part de ça. Si on se compare à il y a 10, 15 ou 20 ans, à cause justement des avantages dont je parlais tantôt, les caractéristiques uniques. Ça ne veut pas dire que tout va bien, et puis la pire erreur qu’on peut se faire c’est dire, s’asseoir sur nos lauriers et puis dire tout va bien, on va juste continuer. Non, non, non, non. Il faut toujours voir à maintenir mais également à améliorer, trouver d’autres manières, si on peut en trouver, pour améliorer le système. Mais il faut reconnaître également tous les actifs qu’on a et puis les bons points aussi. Alors, je pense que le fait que le système judiciaire premièrement, le principe d’indépendance judiciaire fait partie de notre ADN. Bien difficile de trouver le moment à partir duquel on a développé cette idée-là. Je pense que ça fait partie de nos us et coutumes. Mais c’est un concept qui entraîne beaucoup de conséquences dans la société pour tout le monde et il faut protéger ce concept-là tous les jours parce que ça peut être insidieux des fois. Un commentaire d’une autorité publique, une législation qui peut porter atteinte à l’indépendance judiciaire et puis ça peut être le début de la fin. On ne sait pas où ça peut arrêter par la suite. Donc, c’est une pente qui peut être glissante. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire toujours être à l’affût, toujours en parler, toujours la protéger, toujours la supporter, puis dénoncer n’importe quelle situation qui puisse porter préjudice à l’indépendance judiciaire. Ça c’est une de nos grandes forces à travers le monde. J’ai fait des conférences, j’ai passé à des conférences en Europe, entre autres, sur l’indépendance judiciaire, et écoutez, suite à ma conférence, il y a des juges de d’autres pays, de plusieurs autres pays, qui sont venus me voir en disant « Vous êtes dont chanceux. Qu’est-ce que vous pouvez me donner comme conseil ? » Ces gens-là sont sous pression. C’est des régimes souvent totalitaires ou qui sont sur la voie de le devenir, et le premier geste d’un régime tyrannique ou totalitaire, c’est quoi ? Attaquer la magistrature, les avocats, et les médias d’information. Alors, c’est donc important effectivement de faire cette promotion-là et les gens à l’étranger regardent, je pense, de plus en plus l’exemple du Canada comme inspiration. Et c’est notre responsabilité. C’est pour ça moi je le fais dans le cadre de l’association internationale des cours constitutionnelles de langue française. C’est notre responsabilité comme juges d’en faire la promotion et puis de donner la bonne nouvelle aussi à l’étranger, pas de leur dire quoi faire mais de les inspirer de façon très diplomatique et qu’ils puissent obtenir des exemples des procédures et puis des manières de faire, pour revenir chez eux puis essayer de faire la promotion sur l’indépendance judiciaire. Mais on a l’indépendance judiciaire, mais on a la formation aussi. Vous savez l’INM, l’Institut national de la magistrature, qui est formidable, c’est une organisation professionnelle extraordinaire qui donne de la formation à nos juges ici au Canada mais également à l’étranger. On a des projets à l’étranger, que vous savez bien, et moi je suis très fier de ça. C’est formidable. Une des seules organisations comme ça dans le monde. Bijuridique, bilingue, très professionnelle. Alors, les gens à l’étranger ont besoin de ça. On va commencer par satisfaire nos besoins à nous au Canada et on peut exporter notre savoir et nos connaissances à titre d’inspiration et non pas nécessairement pour leur dire quoi faire.

M-E : Puis en contrepartie, j’imagine que ces échanges aussi avec le monde, notamment au sein de la francophonie mais aussi ailleurs, peuvent aussi servir d’inspiration pour les tribunaux canadiens, au niveau des pratiques ?

R W : Absolument. Je reviens un peu à ce que je vous ai dit un petit peu plus tôt : l’ignorance est la source de beaucoup de préjugés. J’y crois fondamentalement. Donc, le plus d’informations qu’on peut avoir le moins de préjugés qu’on va développer. Et je peux vous dire qu’on a pris des trucs et puis des informations de d’autres cours à l’étranger qui ont été très utiles pour le pays. Moi, je donne souvent l’exemple du Royaume-Uni, notamment la cour suprême du Royaume-Uni, qui a été à l’avant-garde de la communication avec le public. Les gens ne le savent pas mais ils ont été les premiers à aller à la rencontre des citoyens, à siéger à l’extérieur de Londres. On a remarqué bien que ce n’était pas pour suivre leur exemple que je l‘ai fait, mais ça tombe bien, c’est dans l’air du temps également de l’avoir fait aussi. Donc, il y a des idées de l’extérieur qu’on peut importer aussi, des manières de faire, ne serait-ce que pour se comparer. Alors, l’ouverture d’esprit, l’obtention d’informations, il y a juste des bienfaits qu’on peut avoir de ça.

M-E : Quel bilan vous en faites de ces activités ? Ça fait trois ans maintenant que vous êtes juge en chef, plus ou moins. Je peux vous dire que, de l’extérieur, on sent bien cette vision, ces activités de reaching out, comme vous dites, de communication avec le public. Quel bilan vous en faites à l’interne de ces efforts de démocratisation, d’approcher les gens ?

R W : Ça demande… Premier conseil, ça demande beaucoup d’efforts. Ne serait-ce que simplement pour vous dire, pour visiter une ville à l’extérieur d’Ottawa, pour siéger, ça prend un an et demi, deux ans à préparer. Alors, je vous annonce tout de suite que on a déjà fixé notre prochaine sortie à Québec à l’automne 2022, et puis on travaille déjà dessus. Donc, ça demande beaucoup de temps, beaucoup d’efforts, mais mon constat c’est que ça vaut la peine. Les réactions que nous recevons parmi les citoyens, parmi les groupes, les lobbys, les regroupements professionnels, est excessivement positive. Je pense que ça fait son chemin mais il ne faut pas lâcher. Puis on ne lâchera pas. Je pense que c’est dans l’intérêt de tous les citoyens, dans l’intérêt d’une saine démocratie, qui va encore continuer à être sous pression pour les prochaines années. C’est sûr. Donc, c’est à nous à tenir le fort. Et puis quand je dis à nous, c’est le corps professoral, le monde judiciaire, les avocats, les médias, les barreaux, etc. Mais je pense que… Moi, je suis très optimiste. Très optimiste. Certains diront peut-être naïf. Moi, j’aime autant dire optimiste.

Lors de sa nomination au poste de juge en chef de la Cour suprême du Canada, le très honorable Richard Wagner s’est donné une mission: améliorer la communication avec la population canadienne. Le juge en chef est fermement convaincu que le système de justice du Canada est parmi les meilleurs au monde. Mais alors que les sources d’information et de désinformation se multiplient, les représentants de notre système judiciaire doivent, plus que jamais, s’efforcer de faire en sorte que la bonne information soit accessible à tous.

Dans cette vidéo, le juge en chef s’assoit avec la doyenne Marie-Eve Sylvestre pour décrire sa vision de la Cour. La meilleure façon de maintenir la crédibilité de notre système de justice, explique-t-il, est que la Cour s’ouvre aux Canadiens – pour faire la lumière sur ses juges, leur façon de travailler et ce qui entre dans les décisions qu’ils rendent. Les Canadiens et la Cour elle-même ont beaucoup à gagner de cet esprit d’ouverture. Mais le juge Wagner prévient également que le Canada ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Bien d’autres pays citent le Canada en exemple. Mais notre pays doit également rechercher de nouvelles perspectives pour identifier les domaines dans lesquels nous, les juristes, pouvons nous améliorer et où nous pouvons trouver de nouvelles façons de penser. Une vision comme celle-ci demande beaucoup d’efforts, mais, comme l’explique le juge en chef, ses avantages sont innombrables.

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