Pierre-Gilles Bélanger, je suis professeur à temps partiel. Depuis dix années déjà que j’ai mis sur pied ce cours-là à l’Université qui s’appelle « Système juridique politique de l’Amérique latine et ses relations avec le Canada ».
Il y a des manifestations très, très grandes qui ont débuté en octobre et en novembre 2019. En octobre 2019, on augmente le prix du métro de 20 sous à peu près, et ça – le 25 cents ou le 20 centimes de hausse des frais de métro – est finalement une gifle de plus, de trop. C’est la goutte qui a fait déborder le vase à travers toutes les difficultés socio et économiques. Je précise socio et économiques. Pas seulement économiques. Une violence la part des jeunes, naturellement, mais aussi de la part d’une très grande partie de la population.
Le gouvernement réagit en déclarant que c’est un état de guerre. Un million de personnes le 25 octobre 2019 sont dans les rues à Santiago. C’est comme si, sur la rue Wellington, devant le Parlement, on retrouvait en pourcentage 3,4 millions de Canadiens déçus de la situation. Le gouvernement réagit et accepte la proposition d’une nouvelle constitution.
Le 25 octobre 2020, il y a eu un référendum important au Chili. Acceptez-vous ou refusez-vous – c’était plutôt ça la question – une nouvelle constitution? Deuxième question dans le même référendum : est-ce que vous voulez une assemblée qui va rédiger cette constitution, mais avec des membres à moitié élus par la population avec ceux qui sont déjà élus, ou voulez-vous 155 personnes qui seront seulement élues pour cet exercice? Le 25 octobre, un pourcentage très élevé accepte l’idée d’une nouvelle constitution et, bien entendu, d’avoir 155 représentants nouveaux, frais. L’optique derrière tout ça est de ne pas permettre le politique de pénétrer, ou de trop influencer, l’idée de cette nouvelle constitution.
Ils sont en train de produire un manuel international. Ça, c’est une équipe avec une fondation allemande, avec l’aide de certains experts. On était très honorés, à l’Université d’Ottawa, de pouvoir être consultés et être les représentants canadiens à ce niveau-là.
Une pratique ou un exercice, pour être plus précis, d’une année pour des gens qui sont élus qui ne sont pas nécessairement des académiciens. C’est des gens qui vont être élus. Il faut qu’ils aient aussi l’humilité, je pense, d’aller consulter et de s’ouvrir, de faire venir des experts.
Là où on peut et on a déjà commencé à aider, c’est en tant qu’institution à individu. C’est ce qu’on a fait, en formant une petite équipe ici au Canada, pour pouvoir dire de façon très humble : voici ce qui est notre état de droit, voici ce qui est notre constitution. Je pense que le juriste canadien doit faire de plus en plus de comparaisons et connaître de plus en plus les systèmes régionaux. On parle de prospérité interaméricaine, et on ne fait pas partie d’un système qui échange les concepts et les idées en droits de la personne. Donc notre analyse, ce qu’on peut leur apporter, c’est vraiment une analyse en respectant leur cheminement, même si on n’est pas encore rendus là ou si on est déjà rendus à un autre endroit.
Aujourd’hui, on est ensemble dans une démocratie interaméricaine ou internationale, et je pense qu’on a beaucoup, beaucoup à apporter et à apprendre d’eux. En tant que juristes, il faut s’ouvrir. Est-ce qu’eux ne peuvent pas aussi nous influencer avec leurs questionnements?
« Est-ce que vous avez une démocratie participative? » Ils nous posent cette question-là. C’est là que je m’aperçois qu’on remet beaucoup notre démocratie entre les mains de nos parlementaires et, d’une certaine façon, à notre pouvoir judiciaire. Parce que quand ça ne marche pas là, on s’en va devant les tribunaux. Pas tout le monde, mais beaucoup de personnes, s’il y a une violation quelconque. Et ça marche assez bien, mais ça me fait quand même réfléchir : est-ce que ça n’a pas créé un certain laxisme? Et on revient à la manifestation du million de personnes.
Je ne sais pas si c’est la constitution canadienne qui peut apporter nécessairement quelque chose ou influencer positivement la nouvelle constitution chilienne. Je pense que c’est plutôt notre système d’administration publique – cette indépendance de nos institutions. On a toutes les indépendances : l’indépendance du pouvoir judiciaire, la division de l’exécutif et le législatif. Ça les remet en question sur la présence et l’influence politique des fonctionnaires. Leur plus grand défi, c’est d’être en mesure d’avoir un état qui va être fonctionnel, mais de façon impartiale, indépendante, et pour tous.
Il faut qu’ils brisent – selon moi et je le dis en toute humilité, aimant le Chili, je le dis avec amour, même – cette distinction-là, profonde, entre ceux qui ont moins de recours avec ceux qui en ont le plus. Ce danger est présent aussi au Canada. Il ne faut pas se le cacher, il y a une tendance. Mais encore là, je dis que c’est universel et que le juriste a un rôle à jouer là-dedans. En travaillant, en ayant cette conscience-là, il peut travailler les lois et les règlements en fonction de ça. C’est votre génération – parce que c’est bientôt, deux, trois, quatre, cinq ans maximum – qui va pouvoir comparer et voir ce qu’on peut faire sur les thèmes dans lesquels on a beaucoup de travail encore à faire.