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Je m’appelle Alexandre Lillo, je suis professeur en droit au Département des sciences juridiques de l’UQAM. Je m’intéresse aux questions de droit de l’environnement et en particulier aux questions de gouvernance de l’eau et de gestion de l’eau dans un contexte canadien.
Je suis Marie-France Fortin, je suis professeure adjointe à la section de droit civil de la faculté droit de l’Université de d’Ottawa. Je suis aussi la chercheure principale du forum de l’Université d’Ottawa sur le droit et la gouvernance de l’eau.
Avec Alexandre Lillo, j’ai donc rédigé cet article qui porte sur l’Agence canadienne de l’eau dans la revue générale de droit, c’est le volume 51 premier numéro, donc de la revue générale de droit.
Un des déclencheurs de l’article ça a vraiment été les annonces et les publications qui ont été faites par le gouvernement fédéral lorsqu’ils ont proposé de créer une agence canadienne de l’eau et on s’est basé sur la documentation qui a été publiée notamment un document qui s’appelle le document de discussion paru en décembre 2020 dans lequel il y avait des lignes directrices de réflexion assez générales sur ce que pourrait être cette agence canadienne de l’eau. On s’est proposé, sur le fondement de cette orientation, de regarder le contexte de l’eau au Canada que ce soit par rapport aux problématiques de l’eau, mais également aux enjeux juridiques, le contexte plutôt juridique et d’explorer les formes que pourrait prendre cette agence canadienne de l’eau en se fondant encore une fois sur les informations publiées par le gouvernement fédéral.
On trouvait que c’était le moment idéal de dresser le portrait de la gouvernance de l’eau déjà établi au Canada, alors dans une première partie c’est ce qu’on essaie de faire, jeter les jalons en fait de ce qui a déjà été fait des modes de gouvernance de l’eau au Canada, les ententes par exemple bilatérales et multilatérales qui sont déjà en force et on voulait aussi dans un deuxième temps utiliser le document qui avait été produit par le gouvernement fédéral à la fin de l’année 2020 pour étayer un peu plus nos hypothèses de formation finalement de l’Agence canadienne de l’eau, quelle structure juridique cette agence-là va prendre?
La mission de cette agence n’est pas encore claire, il y a eu somme toute assez peu de communication officielle sur ce que serait l’agence de la part du fédéral, il y a eu beaucoup de communication sur ce que ça pourrait être notamment au travers de consultations publiques, alors on se pose un peu la question. Le cadre juridique qui existe aujourd’hui au niveau fédéral il est assez simple quand on parle vraiment de gouvernance de l’eau, c’est la Loi sur les ressources en eau du Canada, c’est une loi qui date donc des années 70 qui est ancienne, qui a été critiquée à plusieurs égards et qui n’a pas été vraiment modernisée depuis mais on a la politique fédérale de l’eau qui est un texte qui date de 1987 et qui donne une ligne directrice à la question de la gestion de la gouvernance de l’eau au niveau fédéral. C’est malheureusement une politique qui n’a pas vraiment été appliquée et qui a pas été vraiment suivi quand bien même qu’elle avait le bénéfice de proposer des orientations assez innovantes en matière de gestion de l’eau qui seraient toujours pertinentes aujourd’hui [Musique].
Il y a deux textes législatifs au niveau fédéral qui ont une incidence pour le coup indirecte sur les questions de gestion et de gouvernance de l’eau: on a par exemple la Loi sur les pêches qui va se préoccuper de la protection d’écosystèmes de milieu aquatique à certains égards on a la Loi sur les zones navigables qui va également pouvoir permettre la protection de certains cours d’eau dans certaines conditions et on a aussi potentiellement la Loi d’évaluation sur l’impact qui va permettre de protéger ou en tout cas d’évaluer l’impact de certains projets potentiels sur les cours d’eau, alors ça, c’est des outils au niveau fédéral que peut mobiliser le gouvernement pour protéger les cours d’eau mais qui permettent pas nécessairement d’avoir une approche harmonisée ou une approche transversale de la protection et de la gouvernance de l’eau.
Le rôle de l’Agence canadienne de l’eau dans ce paysage législatif au niveau fédéral, il est encore un peu ambigu, il y a plusieurs alternatives, il y a plusieurs possibilités qui existent d’un point de vue juridique et juridictionnel également ça pourrait être un rôle assez basique de coordination des efforts interministériels ou alors on pourrait envisager et juridiquement c’est possible politiquement ce sera beaucoup plus compliqué mais une agence avec un mandat ou des pouvoirs qui vont regrouper l’action intergouvernementale puis on peut penser donc on fédéral bien entendu aux province, aux territoires potentiellement municipalité aux communautés autochtones et là ce serait vraiment une approche très ambitieuse mais on sait que la création de structures intergouvernementales, elle est tributaire d’un effort politique important et compliqué.
Plusieurs ministères fédéraux sont déjà impliqués dans la gouvernance de l’eau et une centralisation administrative au sein de l’Agence canadienne permettrait peut-être une meilleure coordination en fait interministérielle, ça ce serait une option toujours en restant au simple niveau du palier fédéral, pourrait assister aussi à une centralisation vraiment nationale où là, constitutionnellement évidemment il y aurait des enjeux assez importants mais où le fédéral par exemple en invoquant son pouvoir de paix, ordre et bon gouvernement, les dimensions nationales de ce pouvoir-là invoquerait donc cette nouveauté si on veut depuis le Renvoi sur la tarification sur le carbone pour instaurer l’Agence canadienne de l’eau lui donner une assise juridique constitutionnelle où là on aurait vraiment une centralisation au niveau fédéral.
Il est tout à fait possible qu’on y aille plutôt avec une approche qui est beaucoup plus coopérative, donc on ne serait plus au simple palier fédéral, on irait plutôt chercher une coopération avec les autres paliers gouvernementaux évidemment les provinces, mais on pourrait être beaucoup plus large en fait et créatif et aller chercher plusieurs autres acteurs qui sont impliqués comme les acteurs locaux, les acteurs municipaux, évidemment les structures de gouvernance autochtones où là on aurait un effort soit par le biais de différentes entente multilatérales, soit carrément par le biais de lois donc une loi fédérale et des lois correspondantes provinciales qui viendraient donc créer cette agence canadienne où là vraiment tous agiraient de façon beaucoup plus harmonieuse dans la gouvernance de l’eau.
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La Constitution n’octroie à personne spécifiquement de juridiction en matière d’eau alors les chefs de compétences qui sont énumérés dans la Constitution ne parle pas de l’eau et évidemment chacun des deux paliers donc fédéral et provinciaux va avoir un mot à dire en matière de gouvernance de l’eau alors au niveau fédéral par exemple, la compétence en matière de droit criminel pourrait être invoquée comme on en parlait aussi la dimension nationale, donc la dimension de l’intérêt national mais on pourrait aussi penser à la compétence qu’ont les provinces aussi en matière de gouvernance de l’eau alors les provinces par exemple, sont propriétaires du domaine public au sein de leur territoire. Elles possèdent des lits, des rivières et des lacs. Elles sont aussi tout à fait maître de créer des municipalités ce qu’elles ont fait et leur déléguer des pouvoirs importants en matière d’eau potable dont par exemple, la distribution de l’eau potable mais aussi les règlements de zonage pour prévoir par exemple des plaines inondables, etc. Alors les deux paliers constitutionnellement sont pourvus là de pouvoir en matière de législation pour la gouvernance de l’eau. Si le gouvernement fédéral choisissait l’option d’une centralisation disons unilatérale de sa part avec vraiment là ce que j’ai appelé dans l’article un coach ou push? constitutionnel en utilisant son pouvoir en matière de paix ordre et bon gouvernement sur la base de la dimension nationale, le souci c’est que même dans le Renvoi sur la tarification sur le carbone, la Cour suprême oui donc effectue un développement jurisprudentiel mais identifie quand même une portée restreinte c’est-à-dire que le moyen qui est utilisé ou qui est en cause dans le régime législatif qui est établi est vraiment central à l’objectif qu’on essaie d’atteindre et dans le Renvoi sur le carbone c’était par exemple c’était le seuil minimal au niveau de l’émission des gaz à effet de serre est-ce qu’on pourrait reproduire cette unicité-là dans la gouvernance de l’eau je pense que là il y a des problèmes qui seraient assez manifestes et évidents si par contre on choisissait le mode beaucoup plus coopératif avec les provinces tant et aussi longtemps qu’on suit je pense les enseignements de la Cour suprême et particulièrement les jugements qu’elle a rendue concernant la création d’une Commission canadienne des valeurs mobilières. Je pense donc que si on suit cette voie là d’un fédéralisme véritablement coopératif, là il y a peut-être des portes qui seront un peu plus ouvertes, pour s’assurer d’une gouvernance qui soit efficace à la lumière surtout de la crise climatique qui nous attend.
On a la chance au Canada d’avoir beaucoup d’eau, d’avoir des réserves en eau très importantes mais c’est quelque chose qu’il faut quand même relativiser il y a des enjeux en termes d’accès on peut penser aux enjeux de pénurie qu’on connaît notamment dans certaines régions des prairies, on a des enjeux de pollution qu’on connaît notamment dans les Grands Lacs et donc au final ce constat un peu idyllique de l’eau au Canada. Il faut vraiment qu’il soit relativisé et le fait de créer ce genre de structure et de penser à comment elles peuvent s’intégrer dans le système juridique canadien va vraiment permettre de créer un filet de sécurité et de gérer ces différents enjeux qui peuvent et qui existent déjà en fait, mais qui vont se développer et qui vont être de plus en plus importants notamment quand on pense à l’impact des changements climatiques, les enjeux politiques et juridiques vont aller main dans la main, ici je pense, que ça va être en fait de servir l’intérêt public. La crise climatique ça nous touche tous, ça va impacter les générations futures et bien, il faut espérer là que du côté politique on ait cette volonté de faire fonctionner une gouvernance beaucoup plus efficace de l’eau.
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