Dans les pratiques, qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce que le médecin dit au patient? Qu’est-ce que le patient comprend? Qui prend la décision finale?
Bonjour, je m’appelle Audrey Ferron Parayre, je suis professeure à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa.
J’ai choisi de faire ma thèse sur le droit de la santé – sur le consentement aux soins, plus particulièrement – après mon parcours à la maîtrise. Ça a été une continuité naturelle entre le travail de maîtrise que j’avais fait, qui portait sur la prise de décision partagée. En gros, c’est un concept qui est utilisé particulièrement en médecine pour qualifier la relation entre le patient et le soignant.
Sur une espèce de continuum, on a le paternalisme médical, où le soignant est vu comme étant la personne qui prend la décision, qui impose un choix médical parce que c’est lui l’expert, et le patient se « soumet » aux soins. Puis, à l’autre bout du continuum, on a ce qui est souvent qualifié de consumérisme médical, où là c’est plutôt l’inverse : c’est le patient qui arrive en ayant autodiagnostiqué son problème, en ayant déjà une idée de la prescription qu’il veut avoir et, finalement, le médecin est là pour mettre une étampe sur ce que le patient veut déjà avoir.
La prise de décision partagée se trouve à être entre les deux, en fait. On reconnaît évidemment l’expertise médicale, mais on reconnaît aussi une grande expertise au patient, qui est de facto la personne qui connaît le mieux ses symptômes, ses capacités à les gérer, ce qui constitue une qualité de vie pour lui, ce qui constitue un effet secondaire qui n’est pas tolérable versus un effet secondaire qui l’est.
Donc on jumelle ces deux expertises-là à l’aide des données probantes et de l’expérience patient pour avoir une prise de décision partagée, ça le dit, donc entre le soignant et le patient. C’est perçu dans les recherches de plus en plus comme étant quelque chose qui donne des soins santé optimaux, en fait, où on a la plus grande adhérence des patients aux traitements, les meilleurs résultats sur la santé à long terme, donc tant d’un point de vue individuel – la qualité de la relation, la satisfaction de l’un et l’autre – mais aussi d’un point de vue de santé publique : ce que, comme population, on obtient comme résultat.
Au fur et à mesure que j’ai avancé, j’ai un peu recentré mon champ d’intérêt vers le caractère éclairé du soin, donc vraiment, l’échange d’informations entre le soignant et le patient.
Ça a été vraiment ça le cœur de la recherche : tester dans quelle mesure il y a une adéquation entre le droit idéalisé par nos tribunaux et la réalité du terrain.
L’adéquation entre le droit posé, donc ce qu’on sait comme juristes que devrait être le consentement éclairé aux soins, et ce qui se passe en réalité, c’est qu’il y a un important décalage.
Il y a un écart important entre ce que le droit dit et qui est vécu dans les pratiques cliniques. Il y a plusieurs facteurs qui expliquent ça. Il y a à la fois effectivement des contraintes systémiques, donc le manque de temps, le manque de formation des médecins aussi. Ce qui est ressorti beaucoup, c’est qu’on ne leur explique pas beaucoup les enjeux juridiques liés à ça.
Selon les témoignages que j’ai eus, ils ont parfois des cours durant leur préparation à être médecin où on va leur expliquer ça, mais un des résidents disait « tant qu’on l’a pas fait, ça nous passe un peu par-dessus la tête – c’est très abstrait et on ne le retient pas ». Après ça, ils arrivent en résidence et là, ce qui va se passer en fait, c’est le modèle de leur patron qui va juste être répété. Alors s’ils ont un patron qui fait un bon processus de consentement éclairé aux soins, ils vont apprendre ce processus-là; ils vont le répéter. Et à l’inverse, ils vont aussi répéter les mauvais comportements, parce que c’est comme ça qu’ils vont apprendre.
Parmi tous les facteurs qui vont expliquer l’ineffectivité du droit au consentement éclairé aux soins, ce qui m’a le plus surprise, et parce que ce n’était vraiment pas quelque chose que j’allais fouiller à la base, c’est la sanction. C’est comment le droit sanctionne les comportements inadéquats des médecins en matière de consentement éclairé aux soins.
Je ne voulais pas chercher de ce côté-là. Moi, je voulais vraiment voir dans les pratiques et faire un constat sur les pratiques. Ce qui est revenu, au fur et à mesure que je fouillais et particulièrement dans le « focus group » avec les médecins, c’est qu’ils ont une crainte réelle du droit. Ça leur fait peur. Ils ont peur d’être poursuivis, ils ne comprennent pas, ils ont l’impression que ça change beaucoup. Ce qui a été fascinant, ça a été d’aller chercher les causes de responsabilité médicale pour consentement éclairé – donc quand il y a eu un déficit dans l’information qui a été donnée – et les causes en déontologie, pour réaliser qu’en fait, les sanctions sont pratiquement inexistantes.
C’est extrêmement difficile pour un patient d’avoir gain de cause contre un médecin quand il allègue que le médecin ne lui a pas donné toute l’information dont il avait besoin pour donner son consentement.
On ne peut pas étudier ce sujet-là et parvenir surtout à des solutions qui sont éventuellement pérennes si on polarise le débat. Il faut chercher une façon de mener les gens qui, au départ, ont des vues différentes et ne s’entendent pas du tout vers des points de convergence pour essayer d’avoir un impact positif réel et durable dans les pratiques cliniques.