Laissons les préjugés dans le passé : la neurodiversité au travail 

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La neurodivergence regroupe essentiellement tout ce qui sort du cadre de ce qui est considéré comme neurotypique. C’est simplement une autre façon de penser. Votre cerveau peut fonctionner un peu différemment de celui des autres. Dans le cas de l’autisme, on parle souvent de comportements restreints et répétitifs ou de difficultés dans la communication sociale, comme avoir du mal à soutenir le regard ou suivre des routines très rigides et ne pas aimer les changements. Pour le TDAH, il y a le type inattentif, le type hyperactif-impulsif, et aussi une combinaison des deux. Le type inattentif peut se manifester par des difficultés à rester concentré. Le type hyperactif-impulsif, ce serait davantage des comportements comme s’agiter, interrompre les autres, ce genre de choses. Pour les troubles d’apprentissage, c’est un peu plus large, tout dépend de la zone concernée. Souvent, les gens pensent à la dyslexie, qui est un trouble d’apprentissage lié à la lecture.

J’ai moi-même un TDAH. J’ai fait mes études supérieures en entendant beaucoup de choses de la part des autres, et aussi en le vivant moi-même. Il y a différents niveaux de critiques ou de stéréotypes négatifs autour de ton comportement. Par exemple, pour une personne autiste, un changement soudain de routine ou d’horaire au travail peut être difficile. Peut-être qu’elle soutient moins le regard, et les autres trouvent ça impoli. Il peut aussi y avoir trop de bruit ou de lumière, ce qui la surstimule et rend le travail difficile. Pour le TDAH, il peut être plus dur de suivre une réunion, peut-être que la personne gribouille, et les gens pensent qu’elle ne fait pas attention et s’énervent. Ou encore, elle peut interrompre quelqu’un parce qu’elle est très enthousiaste, ce qui est aussi perçu comme impoli. Il peut y avoir des difficultés avec la gestion du temps ou certaines fonctions exécutives, ce qui rend plus difficile le respect des échéances. Et si la personne a un trouble d’apprentissage, et que son travail implique beaucoup de lecture, elle prendra peut-être plus de temps pour lire ou comprendre certains documents. Mais avec les bons soutiens, beaucoup de ces difficultés peuvent être atténuées. Je pense qu’il y a beaucoup de stigmatisation autour de la façon dont les gens se présentent et de l’impact que ça peut avoir en milieu de travail. J’ai mené une étude où j’ai interrogé des personnes avec un TDAH sur leurs forces, leurs faiblesses et la stigmatisation associée. Beaucoup m’ont dit qu’elles ne révèlent pas leur diagnostic au travail parce qu’elles ont peur qu’on les juge incapables, qu’on pense qu’elles sont stupides ou qu’elles se servent de leur TDAH comme excuse. Je pense que beaucoup d’employeurs sont simplement incertains. Mais souvent, cela vient d’un biais implicite envers les personnes neurodivergentes, plus que de la neurodivergence elle-même.

La raison pour laquelle c’est difficile de démontrer la discrimination à l’égard des personnes neurodivergentes, c’est que, pour arriver à conclure, il faut que la personne elle-même revendique d’être discriminée. Puis ça, il y a une implication personnelle éventuellement difficile de vouloir s’associer ou de vouloir s’identifie comme personne neurodivergente. Puis entre autres choses, pour avoir droit à un accommodement raisonnable, il faut l’avoir demander. Donc il faut avoir reconnu soi-même qu’on doit pouvoir bénéficier d’un accommodement raisonnable. Donc des fois ça peut être difficile pour les personnes qui sont victimes de discrimination de prendre ce chemin-là. On définie la discrimination comme une distinction, une exclusion ou une préférence qui est fondée sur un des motifs de discrimination qui est énuméré dans la Charte qui compromet l’exercice de nos droits. Quand on est dans une relation d’emploi, il y a trois temps majeurs où on peut voir la discrimination : on la voit à l’embauche, on la voit aussi dans les conditions de travail, ou ça pourrait être aussi par le refus d’accommodements raisonnables
– c’est-à-dire, refuser de donner des conditions de travail qui permettent à la personne de faire son travail sur un pied d’égalité avec les autres. La façon dont une personne peut identifier la discrimination, c’est si elle récolte des informations
ou qu’elle récolte des preuves qu’elle a un traitement différencié.

Les sanctions qui sont appliquées par les tribunaux dans un contexte de discrimination sont très larges, il y a beaucoup de possibilité. La Charte donne beaucoup de possibilités aux juges. Le juge peut prendre en fait toute mesure pertinente. Par exemple, imposer à un employeur de réembaucher un salarié, lui imposer de mettre en place des mesures d’accommodements raisonnables, lui imposer de payer des dommages-intérêts aussi éventuellement, puis il peut même imposer à l’employeur de suivre une formation ou de faire suivre à tous ses employés un formation. Les obligations légales des employeurs vont
variées en fonction de la situation spécifique, ça qui rend très difficile la description des accommodements raisonnables ou la compréhension. C’est très difficile pour les employeurs, qui a à l’occasion l’obligation de mettre en œuvre l’accommodement raisonnable. Donc un employeur doit faire tout ce qu’il peut pour permettre à la personne en situation d’handicap de travailler au meilleur de ses capacités jusqu’à une contrainte excessive pour lui. Quand l’entreprise est très grande, c’est plus facile pour l’employeur de le faire, mais si c’est une petite entreprise – par exemple, si on parle du dépanneur du coin où il y a juste trois employés – ça devient plus difficile pour l’employeur par exemple d’arranger les horaires pour que le travailleur puisse consulter son médecin ou participer, avoir accès à des traitements particuliers, etc.

S’il a des difficultés avec, par exemple, la gestion du temps, alors il lui sera peut-être plus difficile de respecter les échéances. Mais en tant que gestionnaire, on peut par exemple découper les projets en étapes plus petites ou fixer des échéances internes, du moins pour les premiers projets, le temps qu’il s’adapte. Les employeurs peuvent rendre le milieu de travail plus accueillant pour les personnes neurodivergentes en discutant avec leurs employés un à un des stratégies qui pourraient les aider à atteindre leurs objectifs. Par exemple, pour une personne ayant un trouble d’apprentissage lié à la lecture, on peut envisager un logiciel d’aide à la lecture ou à l’écriture. Mais parfois, les gens voient cela comme un traitement de faveur alors qu’il s’agit simplement de donner à la personne les outils pour réussir. J’ai aussi entendu des personnes neurodivergentes dire qu’elles se sentent plus à l’aise d’en parler si d’autres personnes neurodivergentes travaillent aussi dans l’entreprise, surtout si ces personnes occupent des postes élevés, car ça leur montre que c’est accepté et qu’on travaille avec elles, plutôt que contre elles. Parce que je pense aussi que quand je dis que j’ai un TDAH, certains employeurs vont se dire : « Elle ne respectera jamais ses délais, ce genre de choses. » Mais ce n’est pas du tout le cas : je suis très motivée et j’adore ce que je fais, et je pense que beaucoup de personnes neurodivergentes sont comme ça : elles sont très passionnées par leur travail. Et si on pouvait bâtir autour de leurs forces plutôt que de toujours se concentrer sur leurs faiblesses, ce serait mieux pour tout le monde. S’il y a quelqu’un au travail qui est ouvertement neurodivergent, on pourrait lui parler pour voir comment rendre l’environnement plus inclusif, peut-être même former un groupe. Et si personne ne se sent à l’aise d’en parler, ce qui arrive souvent, on peut faire appel à des consultants ou à des intervenants externes, qui viendraient faire de la sensibilisation, et amèneraient tout le monde à réfléchir ensemble sur comment soutenir au mieux tout le monde. Et il faut s’assurer que demander un accommodement ou un soutien ne soit pas perçu négativement.

La notion de neurodiversité incarne l’un des principes les plus inclusifs : elle reconnaît que chaque individu, qu’il soit neurotypique ou non, possède une manière unique de percevoir et d’interagir avec le monde. 

Or, trop souvent, ces individus sont injustement perçus dans le marché du travail comme paresseux ou désorganisés. Leur fonctionnement mental singulier représente pourtant une richesse encore largement sous-estimée. De nombreuses voix s’élèvent pour souligner que les entreprises gagneraient à mieux comprendre et valoriser cette diversité cognitive. 

Le défi est de concilier les obligations d’accommodement des employeurs avec la pluralité des profils neurodivergents. Il exige avant tout un changement de perspective : cesser de voir la neurodivergence comme un écart à corriger et commencer à la considérer comme une forme légitime de diversité humaine. Par exemple, les personnes ayant un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) peuvent briller dans des environnements dynamiques nécessitant de gérer plusieurs tâches simultanément, tandis que certaines personnes autistes possèdent une capacité de concentration et une précision remarquable. 

Créer un environnement de travail inclusif pour tous passe donc par des ajustements concrets, mais aussi par un effort collectif pour briser les préjugés. Ce ne sont pas les particularités neurodivergentes qui freinent l’inclusion, mais bien les stéréotypes qui leur font obstacle. 

Ce billet visuel a été réalisé par Corinna Bertolli, James Varano, Katrina Gagné et Yasmina Aguizoul dans le cadre du cours Plaidoirie visuelle/Droit et cinéma de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Section de droit civil.  

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