Droit à la ferme – La production artisanale au Québec et son cadre législatif

AVERTISSEMENT : Ce documentaire contient des images qui pourraient déranger certains spectateurs.

Je m’appelle Sarah Berger Richardson. Je suis professeure de droit à l’Université d’Ottawa. Je me spécialise dans le droit agroalimentaire et aujourd’hui, je vais vous parler de la production artisanale au Québec et son cadre législatif.

Le secteur bioalimentaire est un des secteurs les plus réglementés au Canada. Le droit agroalimentaire, ça englobe toutes les lois qui régissent la production, la récolte, le transport, la transformation, la distribution, la vente des produits alimentaires. Ça inclut aussi les lois connexes portant sur la santé publique, l’environnement, les droits des travailleurs, le bien-être de l’animal. Ça veut dire que lorsqu’on rentre dans l’épicerie, il y a énormément de lois et de règlements derrière tous ces produits.

Quand j’étais jeune, je passais souvent mes étés au pays de Galles avec mes parents, avec leurs amis qui avaient une ferme artisanale. C’était une ferme assez diversifiée, donc ils avaient des vaches, beaucoup de moutons, des canards, des poulets, des poules, donc plusieurs animaux qu’ils élevaient sur leur ferme. J’ai rapidement réalisé que la viande qu’on achetait à la maison ne provenait pas de fermes idylliques comme celle que j’ai connue durant mes étés, mais plutôt d’élevages industriels.

C’est en écoutant le film Babe à l’âge de neuf ans que j’ai vraiment eu une image de cette production industrielle. Ça m’a vraiment choquée et j’ai annoncé à mes parents que je ne voulais plus manger de la viande. Durant mon parcours universitaire, j’ai commencé à me poser des questions moi-même sur ce que je mangeais. Est-ce que mes choix étaient vraiment les choix les plus éthiques ou est-ce qu’il fallait que je repense mon alimentation? Est-il plus éthique pour moi de manger tous les matins un toast aux avocats qui proviennent du Mexique que de manger, au cours de l’année, un quart de bœuf que j’ai acheté d’un producteur qui habite à 100 km de chez moi?

Alors j’ai décidé de réintégrer de la viande dans mon alimentation. J’étais abonnée à un panier bio avec un producteur local. Malheureusement, ou heureusement pour lui, la demande était tellement importante qu’il y avait une liste d’attente pour ses poulets. En parlant avec des producteurs, avec des éleveurs, j’ai entendu qu’il y avait beaucoup de barrières pour eux, des barrières d’accès au marché ou des barrières législatives qui faisaient en sorte qu’on ne pouvait pas répondre à la demande.

En 2015, Dominic Lamontagne, qui est un producteur dans les Laurentides, a publié son livre La ferme impossible. Dans son livre, Dominic Lamontagne avait beaucoup d’information et répondait à beaucoup de mes questions en expliquant pourquoi certains règlements sont mal adaptés pour la production artisanale. Les barrières d’accès pour les producteurs artisanaux, ce n’est rien de nouveau pour Dominic Lamontagne. Il croit que c’est important de permettre, d’encourager, de favoriser l’accès aux terres agricoles aux petits producteurs qui désirent justement fournir des produits alimentaires à leurs voisins, à leurs amis, dans des marchés locaux – que c’est important pour eux, et c’est quelque chose qu’il revendique depuis très longtemps. Maintenant, je vous emmène sur la ferme de Dominic Lamontagne pour explorer ensemble les enjeux juridiques entourant la production artisanale au Québec.

Dominic : Dominic Lamontagne – je suis copropriétaire de la ferme impossible. On essaie de faire changer la loi pour que l’agriculture artisanale soit légalisée au Québec, c’est-à-dire avoir le droit de recevoir des gens et leur faire manger ce qu’on produit. Partager, finalement, notre intérêt pour une agriculture à échelle humaine.

Sarah : Allo Dominic!

Dominic : Sarah! T’as trouvé la place?

Sarah : Oui! Merci de m’accueillir sur la ferme.

Dominic : Merci d’avoir fait la route, c’est un périple.

Sarah : Ça fait plaisir. Alors je sais qu’il y a beaucoup de choses qu’on va voir aujourd’hui. Par où est-ce qu’on va commencer?

Dominic : Moi, normalement, le matin, je fais tout mon train-train quotidien. Je vous ai gardé quelques petites activités – on va commencer par bouger les poulets. On travaille dans des cages mobiles, donc chaque matin on les déplace, alors on peut commencer par ça.

Sarah : OK, on va aller voir ça.

Dominic : Alors la cage, notre modèle, c’est une cage qui est 8 pieds par 8 pieds. Comme je disais, ça peut accueillir jusqu’à 36 poulets. En général, moi, je garde ça à plutôt 18-20. Quand elle est pleine, il faut la déplacer deux fois par jour. Quand elle est à moitié pleine comme ça, une fois par jour suffit. De cet endroit-là où ils étaient hier, on les déplace ici, donc nouveau bar à salade. Attention, on y va doucement pour ne pas faire tomber la porte. Je redescends doucement. Donc on a vu tout le monde se déplacer.

Sarah : On voit le travail d’hier.

Dominic : C’est ça. Donc il n’y a rien de dramatique parce que justement, j’ai peu de volailles, mais je les laisse là une courte période de temps. Il n’y a rien de pire que d’élever des volailles, je pense, à l’intérieur d’une clôture fixe. Les gens qui veulent élever même une dizaine de poules, même de faire ça à l’intérieur d’un quadrilatère immobile, en dedans de quelques semaines, il n’y aura plus rien d’intéressant là-dedans. Vous voyez là, les poules, les poulets – c’est des poules et des poulets en fait, on a les deux – vont manger le trèfle, manger l’herbe fraîche, donc c’est vraiment leur priorité.

Ici on a notre élevage de poules pondeuses. Les poules, elles, contrairement aux poulets, elles vont vivre plusieurs années. Comme j’expliquais, les poules, on les élève plus dans un filet à volailles mobile qu’on va déplacer chaque dix jours environ. La cage des poules dans laquelle il y a les pondoirs, qu’on va aller voir tantôt, elle on la déplace aux trois jours. La clôture, elle, on va la déplacer aux dix jours. Les poules, comme je l’expliquais tantôt, ce que j’ai hâte de pouvoir faire, c’est de les nourrir vraiment avec les moyens du bord. Déjà, on commence à les nourrir avec du tournesol. Là-bas, le tournesol commence à arriver à maturité. La manière dont je fonctionne pour donner le tournesol aux poules, vu qu’elles vont manger tous les morceaux de la fleur, c’est que j’y vais comme ça : je hache la fleur de tournesol. Des fois, je le fais avec trois ou quatre fleurs, mais elle, elle était cassée ce matin. Les poules vont manger la quasi-intégralité de ce qu’on voit là. C’est vraiment aussi des composteuses extrêmement efficaces.

Ici, évidemment, c’est des poules pondeuses. Dans cette cage-là, on a les pondoirs. Les poules, leur cage, il y a une porte qui est tout le temps ouverte, donc elles rentrent et elles sortent. Dans la cage, il y a des perchoirs, donc les poules se perchent la nuit. Elles rentrent et se perchent là-dessus. Ici, en arrière, on a les pondoirs. Je vais lever la palette. Ici, les pondoirs sont faits avec des caisses de lait, comme ça, qu’on a coupées en avant. Comme tu peux voir ici, on a deux beaux œufs dans ce pondoir-ci. Il est un peu tôt encore aujourd’hui. Elles vont pondre avant midi, au début de l’après-midi. Il y a six pondoirs, et on obtient peut-être, je dirais, une douzaine d’œufs par jour.

Sarah : Donc les œufs, avec les règlements sur le quota et la gestion de l’offre, c’est impossible, si moi je voulais acheter ces œufs…

Dominic : En fait, à la ferme, oui.

Sarah : Donc je pourrais, si c’était en dessous du quota, venir les acheter, mais est-ce que dans un marché fermier c’est possible?

Dominic : En fait, ce qui est arrivé dernièrement, c’est-à-dire il y a peut-être deux ans, c’est qu’on s’est mis à avoir le droit de vendre nos propres œufs nous-mêmes dans des marchés publics, ce qui était illégal depuis des décennies avant ça. Mais on n’a toujours pas le droit de vendre nos œufs à des revendeurs, c’est-à-dire l’épicerie du coin. Je n’aurais pas le droit de vendre mes œufs dans un bed and breakfast ou un restaurateur du coin sans les classer. Au niveau de la petite ferme vivrière et de la table champêtre à laquelle moi je fais référence, souvent, les œufs, je ne dirais pas que c’est notre problème principal pour l’instant au niveau législatif. Cent poules pondeuses qu’on élève dans un environnement comme celui-ci, c’est quand même de la job. Pour être capable d’en élever autant que les couvoirs commerciaux, il faudrait que j’aie beaucoup plus de terrain. C’est quelque chose que je pourrais vouloir faire un jour et que j’aurais de la difficulté à faire légalement, mais pour l’instant, dans un petit set-up, moi la centaine de poules, c’est pas quelque chose qui brime mes libertés plus que ça.

Depuis le début, moi, ma préoccupation, c’est la légalisation de l’agriculture artisanale. Alors avant de me battre pour avoir même des plus grandes possibilités au niveau du hors quota, je veux me battre pour qu’on ait le droit de faire quelque chose à la ferme avec nos denrées. Même cent poulets ou cent poules, on ne peut pas faire grand-chose. Il y a trois coqs ici, donc c’est dangereux quand même – très dangereux. On serait peut-être mieux de sortir, Sarah.

Sarah : Quand Dominic et sa conjointe ont commencé leur ferme, au départ, ce qu’ils voulaient, c’était une ferme diversifiée – une ferme qui ressemble à la ferme que j’ai connue durant mon enfance, où on retrouve des vaches, des poulets, des poules – une production modeste et artisanale. Ils ont rapidement été confrontés par le cadre législatif entourant la mise en marché des produits agricoles et se sont rendu compte que pour élever des vaches, pour élever des poules, pour élever des poulets, que chaque produit est régi par des plans conjoints différents, qu’il y avait une nécessité dans certains cas d’obtenir un quota pour élever ses animaux. Il y avait beaucoup de barrières ou des coûts importants qu’il fallait investir afin d’avoir tout simplement accès ou le droit de vendre ses produits.

On entend souvent parler de la gestion de l’offre, mais qu’est-ce que c’est? En fait, la gestion de l’offre, c’est le contingentement de la production pour assurer un certain prix pour les producteurs en fonction des coûts de production. L’idée ici, c’est de trouver un équilibre entre les besoins des consommateurs pour certains produits et entre les besoins des producteurs pour assurer un revenu stable. On pense souvent au lait. Le lait, c’est quelque chose qui est souvent dans les médias, mais le poulet est aussi quelque chose qui est assujetti à la gestion de l’offre. C’est pour ça que j’avais autant de difficulté quand j’essayais d’acheter directement du fermier de mon panier bio, parce qu’à l’époque, il était limité à 99 oiseaux par année. Si le fermier de mon panier bio voulait répondre à la demande, il aurait dû acheter du quota pour pouvoir élever et abattre plus que cent poulets par année.

La gestion de l’offre assure une certaine stabilité de revenus pour les producteurs, mais aussi à un prix. On impose une vision pour l’agriculture; on impose un modèle spécifique d’élevage à tous les producteurs. Ça exclut donc des producteurs comme Dominic Lamontagne, qui a une vision différente, une vision pour la production artisanale, et qui se voit exclu de ce marché en raison des exigences et du contingentement.

Tous les producteurs au Québec, que ce soit Dominic avec sa ferme artisanale ou un producteur à échelle industrielle, sont soumis aux mêmes règles en vertu de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche. Cette loi existe pour protéger les producteurs agricoles, pour coordonner le marché, et aussi pour aider les producteurs à faire face à la concurrence mondiale. L’objectif de la loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires et de la pêche est aussi d’assurer une certaine autonomie alimentaire au Québec.

Avec tout l’intérêt dans l’autonomie alimentaire au Québec, on parle de plus en plus des circuits courts et des marchés de proximité. Les circuits courts, donc l’idée de raccourcir la chaîne alimentaire entre le consommateur et le producteur, c’est quelque chose qui intéresse Dominic Lamontagne. Il en parle dans son livre et il a beaucoup à dire à ce sujet.

Sarah : Il y avait des poules de races différentes, donc c’est diversifié à ce niveau-là. Je sais qu’on parle de fermes diversifiées, de fermes pluriproductrices, de fermes génératrices… Ta ferme, comment tu la décris?

Dominic : C’est un peu tout ça. C’est des mots qui viennent et qui vont. Il y a des modes là-dedans, mais je pense que le concept d’une ferme diversifiée, ou comme tu disais pluriproductrice, c’est une ferme qui est d’abord une forme d’agriculture peut-être vivrière. C’est-à-dire que moi, je pense qu’un agriculteur devrait avoir comme premier objectif de se nourrir lui-même avec une variété d’aliments. Quand tu tombes dans la monoculture ou le monoélevage, tu ne peux même pas t’en nourrir toi-même. Qu’est-ce que tu es en train de bâtir, au juste? Juste une business ou un milieu nourricier? Moi, je pense que ce qui est arrivé à l’agriculture, quand on parle d’agriculture classique, de productivisme, la ferme que moi j’appelle aux soins intensifs, c’est-à-dire qu’on produit une denrée en grandes quantités et on est très dépendants d’une grande variété d’intrants. Je pense que c’est arrivé à partir du moment où on a décidé qu’on professionnalisait l’agriculture. Dans les années 50, c’était littéralement ce que l’UPA a annoncé dans la Terre de chez nous. Ils ont dit : nous, ce qu’on veut, c’est faire de l’agriculture une profession fermée où seuls les vrais agriculteurs auraient le droit de pratiquer. Ça, évidemment, ça m’agresse comme formulation. Je pense que quand on a décidé d’arrêter justement de produire une variété de denrées sur la ferme, c’est-à-dire à la fois des œufs, du lait, de la chair, et qu’on a décidé de produire juste une chose, qu’on a coupé le lien avec le client. Je pense que c’est là où les perversions qu’on reconnaît à l’agriculture industrielle aujourd’hui sont nées. Pour moi, la ferme diversifiée, c’est elle qui a le plus de difficulté à exister aujourd’hui étant donné le contexte législatif. Comme je l’explique souvent, avoir deux vaches, 200 poules et 500 poulets, on parle de 308 000 $ environ en quotas, mais après, on parle d’un autre 700 000 $ en infrastructures pour avoir le droit de faire quelque chose d’aussi niaiseux qu’un pâté au poulet. C’est-à-dire que si tu veux faire un pâté au poulet avec tes œufs, ton beurre, ton poulet, il faut que tu aies un abattoir de proximité, une usine laitière. J’ai l’impression que l’agriculture a perdu son identité en se concentrant comme ça et en amenant l’idée du travail en silos. Moi, en élevant, en voyant à l’alimentation puis en abattant les animaux, je les accompagne de A à Z dans tout ça. Évidemment, je ne veux pas tout le temps être en train d’abattre, je ne veux pas tout le temps être en train de faire ci ou ça, donc pour moi, ça modère mes propres transports.

Sarah : Au Québec, pour qu’un producteur puisse vendre sa viande, il faut passer par un abattoir sous inspection permanente, soit fédérale ou provinciale. Pour certains producteurs qui désirent vendre dans des circuits courts et directement aux consommateurs, la nécessité de passer par un abattoir provincial ou fédéral sous inspection permanente constitue une barrière. C’est justement le cas de Dominic Lamontagne, qui aimerait élever ses animaux sur sa ferme et les abattre aussi sur la ferme pour vendre ensuite la viande ou les produits transformés directement à sa clientèle. Le gouvernement québécois reconnaît de plus en plus l’importance d’encourager la production artisanale dans la province. Pour cette raison, le MAPAQ a récemment lancé un projet pilote pour permettre à des producteurs comme Dominic Lamontagne d’élever ses poulets sur sa ferme et de les abattre pour ensuite les vendre à ses clients. Ce projet pilote pourrait éventuellement mener à une modification de la Loi sur les produits alimentaires en créant une quatrième catégorie d’abattoirs dans la province. En plus de l’abattoir fédéral, provincial et de proximité, on aura une quatrième catégorie pour la production artisanale : l’abattage à la ferme.

Dominic : Ici, Sarah, j’ai un attrape-poulet. Non, je ne l’ai pas fabriqué moi-même. C’est un attrape-poulet, donc on les attrape par les pattes. Avant d’abattre un poulet, il faut le faire jeûner pendant 24 à 36 heures, pour évidemment que l’éviscération soit plus propre. Mais ça me permet de dire que le jeûne, une fois aux dix jours je dirais, pour n’importe quel animal qui se fait abattre ou non, ce n’est pas mauvais. Alors c’est l’étape que le poulet aime le moins. Remarquez les cris qu’il pousse. On explique tout le temps ça aux participants à nos ateliers. Quand je l’ai attrapé, il criait, il gueulait, donc il est capable de s’exprimer quand ça fait pas son affaire. Mais quand je vais l’abattre, il dit pas un mot sur la game. Alors dans le contexte du projet pilote, nous, ce qu’on demande au MAPAQ, c’est qu’on puisse abattre à la ferme des volailles en petites quantités dans un abattoir qu’on qualifie, nous, de saisonnier. C’est-à-dire que c’est pas un établissement qui roule 365 jours par année. C’est un établissement qui nous permet d’abattre notre centaine ou nos deux centaines de volailles à la ferme pour les mettre en marché à la ferme. On trouve qu’un poulet qui a été élevé à la ferme, de l’œuf au poussin à la cage mobile à l’alimentation qu’on s’efforce de produire localement, on veut pouvoir, nous, prendre ce poulet-là, les prendre un à la fois si on veut, quand ils ont la taille qui nous intéresse, quand on a besoin d’en abattre, d’aller à l’abattoir qu’on s’en va visiter là – on va marcher peut-être 20 mètres avec le poulet pour aller là – puis après ça, on veut pouvoir, nous, conserver les plumes, les viscères et le sang pour le composter, parce qu’on a mis dans ces plumes, ces viscères et ce sang-là du lait de chèvre caillé, on a mis du pâturage qu’on a bâti tranquillement. On a mis beaucoup d’efforts dans tout ce qui constitue le poulet qu’on voit là. Il n’y a rien qui se perd. Une fois qu’on a composté ce qui ne nous intéresse pas, on utilise le foie, on utilise le cœur, on utilise le gésier, on utilise les pattes, on utilise les os, on utilise la chair, on utilise tout, puis on le sert à la ferme. Donc même les résidus des repas des gens, on va les composter aussi. Pour nous, c’est vraiment le A à Z, le vrai court : un circuit court de production, de transformation, puis une mise en marché. Alors allons abattre ti-coq.

Alors comme je vous expliquais, moi, je fais une saignée. Donc je saigne, je tranche les deux veines de chaque côté de la trachée puis de l’œsophage, sans trancher l’œsophage puis la trachée. Donc l’animal n’est pas asphyxié, il ne s’étouffe pas dans son sang. Il saigne, puis il va mourir par exsanguination. Le cœur continuer à pomper, et c’est ce qui permet au sang de sortir. On a une saignée 35 % plus efficace quand on saigne le poulet vivant. Des centaines de poulets que j’ai abattus, je n’ai jamais senti que je leur infligeais une souffrance particulière. Vous allez voir ce que je veux dire. Alors comme j’expliquais, moi, je vais couper d’un côté, je vais couper de l’autre côté. Donc vous voyez, il n’y a pas eu de cris mortels comme c’était le cas quand je l’ai sorti de sa cage. Vous allez voir, la minute que le poulet se met à se débattre, ce qui va arriver dans environ peut-être une minute, c’est que là, on a perte de conscience totale, et puis on a le système parasympathique qui embarque. Éventuellement, les pattes vont relever, ça c’est la première étape, donc on a quelques petits mouvements. Là, on a quelque chose que je considère très efficace. Quand on a ces mouvements-là, ça fait longtemps que le poulet n’est plus parmi nous, et quand les pattes vont s’être raidies complètement, là, je vais le rincer. Voilà, Sarah, ton souper. Non, malheureusement je n’ai pas le droit de te le faire manger. On a vraiment une belle carcasse de poulet. Tu vois, ça ressemble plus à un poulet de Cornouailles qu’au poulet classique. On a vraiment un beau petit coq avec lequel on pourrait faire un coq au vin, un poulet en crapaudine… The sky’s the limit, comme dirait mon grand-père.

La loi qui est en jeu ici, c’est essentiellement la Loi sur les produits alimentaires, je pense que c’est le chapitre p-29. Dans cette loi-là, je pense que les mots exacts, je les oublie, mais essentiellement on explique qu’une volaille qui va être vendue, il faut qu’elle soit abattue dans un contexte d’abattoir qui a un permis d’abattoir. Pour l’instant, il y a différentes catégories de permis d’abattoir, mais il n’y a pas la catégorie dont on a besoin, c’est-à-dire une catégorie qui permet de travailler dans une infrastructure plus saisonnière, temporaire.

Sarah : Est-ce qu’on peut dire pour notre public qu’il y a trois catégories en ce moment au Québec : l’abattoir de proximité, l’abattoir provincial et l’abattoir fédéral. Donc en fonction d’où on envoie les animaux, on peut soit les apporter à l’abattoir de proximité pour les avoir pour notre propre consommation, on peut les amener à un abattoir provincial pour ensuite les vendre dans la province, ou ensuite à l’abattoir fédéral pour les vendre dans le monde. Mais toi, c’est pas des solutions adéquates pour toi. Toi, tu veux autre chose.

Dominic : Ça ressemble à un permis d’abattoir de proximité. Si tu vas à un abattoir de proximité avec ta volaille, tu ne peux pas faire autre chose que de la ramener chez toi et de la manger toi-même. Si tu bâtis un poste d’abattage de proximité chez toi, là, tu as le droit de vendre la volaille chez toi. De se construire un abattoir de proximité pour soi-même, c’est quelque chose qui coûte environ 400 000 $. De proximité, là. Donc moi, ce que je veux, c’est de pouvoir permettre à un artisan d’investir 5 000 $ et d’avoir un équipement de base correct qui leur permet d’exploiter une quantité de volailles extrêmement réduite, parce qu’on a droit à 300 volailles maximum par année. Ce que le MAPAQ va venir faire, c’est observer nos méthodes, puis voir s’ils sont d’accord avec notre prétention que l’hygiène et la salubrité de l’aliment sont protégés. Évidemment, l’idée, ce serait d’amender loi pour qu’une nouvelle catégorie de permis existe, qu’on pourrait appeler abattage artisanal à la ferme ou abattoir saisonnier. Moi, je veux pouvoir maintenir le savoir-faire en vie, pouvoir faire toutes les étapes qu’il faut pour passer de l’œuf à l’assiette, si tu veux. La typicité du produit que j’offre ici, mon poulet élevé comme moi je l’entends, abattu comme moi je l’entends, préparé comme moi je le veux. Liberté d’action, puis possibilité d’exprimer son unicité, sa particularité.

En parlant avec Dominic Lamontagne et en visitant sa ferme, on voit l’importance de la diversité dans la production agricole au Québec. Est-ce qu’on peut développer un cadre réglementaire qui permet autant au producteur artisanal qu’à d’autres producteurs qui travaillent dans le système de gestion de l’offre, qu’aux producteurs qui vise les marchés internationaux – est-ce que tous ces producteurs peuvent être encadrés par des règlements qui sont suffisamment flexibles pour permettre à chacun de s’exprimer, de répondre aux demandes, aux besoins des consommateurs, mais aussi de rester fidèles à leur propre vision de ce que c’est la production agricole?

Je pense que c’est souhaitable. Je pense que c’est possible. Et vous, qu’en pensez-vous?

Sarah Berger Richardson est professeure adjointe à la Faculté de droit, Section de droit civil de l’Université d’Ottawa, où elle concentre ses recherches sur le droit agroalimentaire. Ce type de droit fait référence aux lois, règlements et politiques qui régissent l’ensemble des aliments et boissons que nous cultivons, élevons, produisons, récoltons, transformons, transportons, distribuons, importons, exportons, promouvons, étiquetons, achetons, vendons, partageons, donnons, cuisinons, mangeons, buvons, gaspillons et éliminons, ainsi que les lois connexes portant sur la santé publique, les droits des travailleurs, l’environnement, la justice sociale, la souveraineté alimentaire, et le bien-être des animaux d’élevage.

Tandis que la grande majorité des aliments produits au Québec proviennent de fermes à grande échelle, un certain nombre de producteurs, de productrices, de consommateurs et de consommatrices veulent privilégier un modèle à échelle plus humaine. Cependant, dans un environnement juridique qui favorise une agriculture industrielle à grande échelle, c’est un véritable défi pour une petite ferme artisanale d’exister, et encore plus de réussir à être rentable. Alors que les besoins de nos systèmes alimentaires deviennent de plus en plus complexes, que peut offrir l’agriculture artisanale aux collectivités? Est-ce que nos lois sont adaptées pour permettre l’émergence de fermes à petite échelle et à la production diversifiée?

Dans ce JuriDoc, la professeure Berger Richardson, l’une des plus grandes expertes canadiennes en droit et politiques alimentaires, fouille ces questions en explorant le monde des fermes artisanales. Elle va à la rencontre de Dominic Lamontagne, producteur artisanal et auteur du livre La ferme impossible, qui estime que les barrières d’accès législatives constituent un frein à son expansion et l’empêchent de répondre à une demande qui est pourtant croissante.

Prenons, par exemple, le système de gestion de l’offre, qui a pour but de créer un équilibre entre l’offre et la demande dans certains secteurs agricoles en contingentant les quantités qui peuvent être produites. Ce contingentement est séparé entre les différentes exploitations de la province, qui détiennent alors ce qui est appelé du « quota ». Mais qu’en est-il pour les producteurs qui désirent élever un nombre restreint d’animaux à l’extérieur du système de gestion de l’offre pour alimenter les circuits courts et de proximité? L’achat d’unités de quota est une transaction particulièrement dispendieuse, qui s’ajoute aux autres coûts afférents au début d’une exploitation et qui impose une échelle de production incompatible avec une vision axée plutôt sur l’artisanat. Par ailleurs, même la recherche d’information sur le fonctionnement du système de contingentement s’avère une tâche ardue, car les règles et les unités de mesure du quota varient énormément selon les productions. Ainsi, plusieurs productrices et producteurs artisanaux se heurtent aujourd’hui à ces restrictions, alors que leur objet au départ était d’offrir une stabilité financière aux entreprises agricoles.  

Gestion de l’offre et production hors quota

Un autre exemple est celui de l’abattage et l’impossibilité actuelle de vendre de la viande provenant d’animaux abattus à la ferme. Pour Dominic Lamontagne, cette interdiction est difficilement réconciliable avec sa vision d’un cycle de vie entier à la ferme, qui est un idéal partagé par beaucoup de productrices et producteurs artisanaux. Au surplus, le transport des animaux vers l’abattoir s’accompagne non seulement d’un coût supplémentaire, mais entraîne aussi un stress important pour ceux-ci. Cela dit, l’abattage des animaux est une activité dangereuse et à haut risque qui nécessite une surveillance attentive pour assurer la sécurité sanitaire des aliments ainsi que le bien-être des animaux. Les règles encadrant l’abattage des animaux sont sans conteste essentielles. Comment alors réconcilier ces intérêts divergents? Une piste de solution pourrait résider dans le projet de loi no 99 pour modifier la Loi sur les produits alimentaires, présenté devant l’Assemblée nationale par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) en juin 2021. Le projet de loi vise à diminuer le fardeau administratif des petits producteurs et fait suite à un projet pilote d’abattage de poulets à la ferme auquel Dominic Lamontagne a participé en 2020.

Options d’abattage pour les éleveurs

Le cadre législatif fédéral et provincial

Somme toute, les règles encadrant la production agricole, sur des sujets comme la gestion de l’offre et l’abattage des animaux, répondent à des objectifs d’intérêt public indispensables, comme le développement économique et la sécurité sanitaire des aliments. Cela dit, pour les fermes artisanales, ces règles peuvent devenir prohibitives, empêchant souvent la diversification et la rentabilité de leurs productions. Des initiatives législatives comme le projet de modernisation de la Loi sur les produits alimentaires du MAPAQ pourraient contribuer à une meilleure intégration de l’agriculture artisanale dans le système alimentaire québécois. En définitive, il reste tout de même un travail de réflexion important à faire pour déterminer où se trouve ce juste milieu entre la règlementation et l’autonomie alimentaire au Québec.

Références et liens utiles

 

À propos de la chercheuse

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