Jean Faullem, je suis juge à la Cour supérieure du Québec, à Gatineau.
J’ai fait mes études en droit à Sherbrooke. Je suis allé faire mon Barreau à Québec, parce que je travaillais en même temps dans un petit cabinet d’avocats.
J’ai continué à pratiquer après avoir fait mon stage là, pendant quelques années. En 1997 environ, j’ai suivi ma conjointe à l’époque pour venir m’installer à Gatineau.
J’en ai profité pour m’inscrire à la Faculté de droit d’Ottawa, et j’ai fait une maîtrise à ce moment-là. Je l’ai appelée « La règlementation de l’Internet ». Je suis revenu à Ottawa, tenter de faire un doctorat. J’ai fait quelques années au doctorat, où j’ai enseigné en même temps le droit à l’Internet, le commerce électronique, les communications sur Internet. À un moment donné, je me suis ennuyé un peu beaucoup de la pratique privée et je me suis trouvé un emploi chez un cabinet qui s’appelle Noël et Associés à Gatineau.
En 2013, j’ai été nommé juge une première fois à la Cour du Québec, toujours à Gatineau. Six ans et demi plus tard, j’étais nommé à la Cour supérieure.
Ce qu’on entend le plus souvent, en fait, c’est le défi de se retrouver un peu plus seul. Même si on joint quand même un grand groupe de juges, la pratique judiciaire comme magistrat, comme juge, c’est une vie un peu plus seule.
Quand on est en pratique privée comme avocat – moi, j’étais chez Noël et Associés : on était une quinzaine d’avocats à l’époque. Avec tous les employés, on était peut-être 25 ou 30 dans le bureau, avec tous les clients qu’on rencontre tous les jours, avec de belles relations avec les clients, la multitude de téléphones qu’on pouvait recevoir, des centaines de courriels auxquels je devais répondre tous les jours. Du jour au lendemain – dès la nomination en fait, le lendemain, c’est terminé tout ça. Le téléphone ne sonne plus, les courriels rentrent beaucoup moins, alors c’est un choc.
Initialement j’étais un civiliste en pratique privée du droit mais quand je suis arrivé à la Cour supérieure un des grands éléments, un des grands pans de la Cour supérieure ce sont les dossiers en matière matrimoniale, le droit familial. Et moi du matrimoniale, je n’en avait jamais fait. Je m’étais même dit en pratique privée « jamais je ferai cela. Ça n’a pas d’allure. Ça pas de bon sens. On laisse aux autres. » Mais là j’ai découvert ça. Donc c’était mon défi. Surtout à la Cour supérieure, mon défi c’était ça. C’était ma crainte. J’étais, et puis je le suis un peu encore craintif des fois.
Il faut changer de schème de pensée. Alors que pendant toute une vie professionnelle, on s’est habitué à prendre position dans un dossier pour un client, pour monter une stratégie tout dépendamment de son dossier – du jour au lendemain, ça, c’est terminé.
Au début, je me souviens encore, les premières fois que je suis monté sur le banc comme juge, de pratiquement me lever pour faire des objections; certaines fois, vouloir intervenir et aider pratiquement les gens, et même les avocats, à faire leur travail. Mais ça passe. Ça passe avec le temps. Ça prend un peu de temps, mais ça passe, puis après on prend un peu une erre d’aller, puis ça va beaucoup mieux.
Oui, le juge a un rôle qui est différent aujourd’hui. On entend ça souvent. On parlait à une certaine époque qui est révolue du juge sphinx, celui qui était là qui écoutait et qui n’intervenait jamais, qui ne posait pas de questions. Tout ça a changé beaucoup. Le juge est beaucoup plus impliqué dans les dossiers. Et puis je fais partie de ceux effectivement qui posent beaucoup de questions pendant les procès. Moi ce que je dis toujours aux parties, et je le disais même aux parties non représentées quand je faisais des petites créances à la cour du Québec, c’est que j’aime mieux profiter de votre présence pendant que vous êtes là pour vous poser des questions afin que je puisse vraiment avoir le plus d’informations possible. Parce que quand je vais me retrouver tout seul dans mon délibéré, bien je ne pourrai plus vous parler.
Il ne faut pas oublier qu’il y a quatre-vingt ou quatre-vingt-cinq pourcents des dossiers qui se règlent. Mais ce qu’on a entend comme juge, ce sont des dossiers qui ne sont pas réglables.
La plupart du temps les gens se présentent parce qu’ils ont confiance dans leur dossier, ils croient en ce qu’ils ont fait, mais il y a un litige effectivement. Les parties ne s’entendent pas tout à fait sur la solution à amener à tout ça.
Souvent ils sont conseillés par des avocats. Les avocats ont fait de la recherche, ont fait les vérifications, les ont conseillés et on se retrouve effectivement dans des zones grises un petit peu. Donc des positions qui nécessitent des interprétations que ce soit au niveau contractuel, même au niveau factuel. Donc l’appréciation de la preuve, la compréhension que les gens ont des événements qu’ils ont vécus également vas jouer un rôle important. Alors dans le procès ce qu’on amène, et puis dans les procédures judiciaires et dans le procès, ce que les parties et les avocats vont amener ce sont les faits. C’est un paquet de faits qu’ils relatent qui vont nous amener à comprendre un peu comment tout ça se passe. Mais de ça il faut aller chercher le droit, appliquer le droit à ces faits-là particuliers pour en tirer une solution juridique adéquate.