Narration : Au cours des derniers mois, nous avons constaté que le metaverse prend une place de plus en plus grande dans notre société. Le metaverse est partout dans les nouvelles depuis l’annonce de Facebook qui a changé de nom pour Meta, mais qu’est-ce que vraiment le metaverse? Eh bien, pour y répondre, nous avons invité la professeure Karen Eltis, qui est spécialisée en droit de la technologie à l’Université d’Ottawa.
Karen Eltis : Je dirais de manière très simple que c’est une série d’univers virtuels en trois dimensions interreliées. Donc, on peut être à différents endroits sans y être physiquement, mais de manière bien plus sophistiquée que cet avant-goût qui est Zoom, Teams et compagnie. Le métavers est normalement imaginé plutôt en réalité virtuelle; c’est 3D, donc il y a cette immersion qui se rapproche à la réalité virtuelle, un peu comme lorsque vous portez des lunettes et vous avez l’impression de vous trouver sur place. Quand nous sommes sur Zoom, je n’ai pas l’impression d’être en votre compagnie. Nous parlons, mais il n’y a aucun aspect trois dimensionnel, aucun espace physique. Je suis chez moi, vous êtes chez vous et nous nous voyons seulement en tant que carreaux; nous n’avons pas la possibilité d’interagir dans cet espace outre de se parler de manière très rudimentaire. Mais le métavers a cet aspect-là qui est trois dimensionnel, qui permet toutes sortes d’activités, où nous avons le sentiment physique : lorsque vous êtes sur un précipice vous avez l’impression de tomber, lorsque vous touchez à quelque chose vous avez l’impression d’y toucher, ce qui suscite de nombreuses questions…
Quand mon fils et moi, et mon fils qui est adolescent, parlions du métavers, il m’a rappelé le Ready Player One de Steven Spielberg. Dans le film, si je me rappelle la prémisse, le monde est en ruines, il y a des inégalités socio-économiques, et pour certains, la seule façon – c’est très dystopique, n’est-ce pas, mais on peut faire des parallèles avec la pandémie si vous voulez – est la seule façon d’avoir certaines expériences. Par exemple le voyage, on ne peut plus voyager compte tenu de contraintes, que ce soit des contraintes sanitaires, que ce soit des contraintes socio-économiques, mais avec ce métavers, et j’utilise le terme de manière très générique, on peut avoir l’expérience de voyager, comme de se projeter dans ce monde qui est très différent d’Internet. Si je prends mon téléphone et je regarde les beaux paysages, c’est une expérience extrêmement limitée. Dans Ready Player One, c’est réellement se projeter sur le plan presque physique et émotionnel, dans ce monde interrelié, virtuel, 3D.
Narration : Merci beaucoup à la professeure Karen Eltis pour nous avoir si bien expliqué c’est quoi le metaverse. Maintenant vient le temps de se pencher sur la pratique du droit. Partout à travers le monde, on commence à percevoir que plusieurs cabinets ouvrent leurs portes dans le metaverse. C’est le cas pour l’un des premiers cabinets américains à le faire et qui, sur YouTube, nous offre même la chance de le visiter de façon entièrement virtuelle. Au Canada, il existe le premier cabinet à ouvrir ses portes dans le metaverse. Il s’agit du cabinet Renno & Co, qui est situé à Montréal. Nous avons l’immense plaisir d’accueillir Bianca Lessard, avocate chez Renno & Co. Maître Lessard nous parlera davantage de leur cabinet, ainsi que de questions juridiques qui découlent du metaverse.
Bianca Lessard : Notre spécialité est en matière de technologies émergentes, et puis ça comprend vraiment tout dans les technologies, autant, surtout la blockchain et les cryptos, les NFT et tout ça. Mais, en plus général, on accompagne les compagnies vraiment de A à Z, autant pour le lancement de leur entreprise que pour l’expansion de leur entreprise, mais aussi pour la protection de la propriété intellectuelle.
Beaucoup d’opportunités dans le milieu de la propriété intellectuelle, notamment pour le dépôt de marques de commerce. Il y a déjà plusieurs exemples de marques qui ont pris de l’avance et qui ont enregistré des marques de commerce. On peut penser à Nike, Puma, Ralph Lauren, Gucci, Prada, Louis Vuitton, Chanel, Victoria’s Secret, et vraiment un nombre indéfini de marques qui se sont intéressées à ça. Sinon, avec tout ça vient évidemment des litiges. Il y en a déjà eu, puis il y en a plusieurs qui vont apparaître, c’est juste le début. Sinon, c’est sûr qu’il y aura des questions de confidentialité (privacy), protection des données personnelles avec ces nouvelles plateformes de metaverse. Il va y avoir certainement une période d’adaptation pour les avocats pour la rédaction des contrats. C’est sûr que ce n’est pas les mêmes termes, ce n’est pas les mêmes technicités.
Il y a des questions d’application du droit, des questions de droit international, et aussi le fait qu’il n’y a pas encore vraiment de framework, si je peux me permettre, en droit pour qualifier c’est quoi des NFT. Le metaverse, c’est encore un peu flou au niveau du droit, tout ce que ça représente. Mais c’est sûr, comme je disais, que pour se préparer en tant qu’avocats, il faut vraiment se projeter dans le futur, il ne faut pas penser que ce qu’on voit en ce moment, c’est tout ce qu’il va y avoir. On voit vraiment juste la pointe de l’iceberg, et on ne peut même pas imaginer ce qui va exister dans seulement quelques mois, même quelques années. Un bon exemple pour éviter les problèmes et les conflits, pour se préparer, ce serait de vraiment prendre le temps de revoir les contrats et de s’assurer qu’ils sont assez généraux pour ne pas être trop restrictifs dans toutes les technologies qui s’en viennent. Ça peut être intéressant aussi de considérer l’arbitrage dans les clauses de règlement des différends, puis d’éviter les procédures judiciaires, puisque c’est beaucoup international et qu’il peut y avoir des gens de partout.
On ne voudrait pas être tout seuls là-dedans, ce serait dommage. Mais oui, effectivement, c’est sûr qu’en droit, on est reconnus, les avocats, pour accepter les changements et les technologies beaucoup plus lentement que d’autres industries. Donc, chez Renno & Co., c’est différent, on y va droit dans le mile, mais c’est sûr que je sais que pour d’autres cabinets, c’est peut-être plus lent, mais on les encourage.