Histoire, savoirs et sciences en Afrique

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Cet universel est enveloppé par la culture occidentale. C’est pour ça qu’ils vont dire : il faut découpler l’universel de la culture occidentale.

Je m’appelle Mamadou Diouf, je suis historien et j’enseigne à Columbia University, à New York. Principalement, mes intérêts tournent autour de l’Afrique dans ce qu’on appelle la période moderne, entre le 15e siècle et le présent. Et je m’intéresse à l’histoire intellectuelle et à la manière dont l’histoire est produite en Afrique et les rapports entre cette production de l’histoire et les savoirs qui sont les savoirs qui sont mobilisés, c’est à dire comment les Africains s’intéressent à entrer en fait dans un territoire qui est le territoire de l’histoire duquel ils avaient été exclus.

Nous, les historiens, nous sommes confrontés non seulement à cette discipline dans laquelle on a été formé, qui est la discipline de l’histoire occidentale, mais comment confronter cette histoire occidentale avec l’histoire telle qu’elle est pensée par les sociétés africaines, c’est-à-dire comment en particulier l’histoire occidentale est une histoire qui repose sur un principe, le principe de l’archivage, il n’y a pas d’histoire sans archives. Et les grands problèmes, si vous voulez, sont les problèmes effectivement, la trace de l’histoire, la manière dont l’histoire est enregistrée par les Africains est une manière orale et l’oralité, c’est l’instabilité. Et cette instabilité crée effectivement un espace qui est un espace ouvert où il n’y a pas un seul discours, il n’y a pas de vérité absolue. Il y a constamment l’adaptation du récit historique au public auquel ce récit est destiné, mais aussi ça prend constamment en considération l’environnement et les transformations, donc l’imaginaire joue un rôle très important. Mais c’est une logique qui reconnaît la différence, qui reconnaît, si vous voulez, la diversité et ce qui m’intéresse, c’est effectivement d’essayer de comprendre comment ce discours, en s’adaptant aux circonstances et à des publics, est un discours qui renvoie à effectivement à la production d’un savoir qui est un savoir qui n’est jamais absolu. Mais ce savoir et cette manière de faire, la manière dont la colonisation l’a confronté est une manière brutale et violente d’écartement. C’est-à-dire que la logique qui est la logique de l’expansion de la raison, ce que j’appelle la raison occidentale, est une logique qui soumet toute autre raison ou la détruit.

Il y a une nouvelle génération d’historiens africains qui sont des historiens des sciences et de la technologie et qui essaient de comprendre à la fois le développement des sciences et des technologies occidentales en Afrique, l’impact que ce développement a eu sur les sciences, que je mettrais entre guillemets, « indigènes » et la manière dont dans cette, dans ces transactions, dans cette rencontre, on pourrait comprendre l’esprit, pour reprendre, l’esprit scientifique des Africains. Et l’un d’eux, qui s’appelle Clapperton Mavhunga, qui est zimbabwéen, et qui travaille sur l’Afrique australe et qui a écrit un livre qui est sur la, en fait, la mouche tsé-tsé et les connaissances médicales sur la maladie du sommeil. Comment il montre que, effectivement, les Européens ont tout appris à la fois sur l’insecte et sur la maladie en écoutant les Africains et en particulier dans les opérations de chasse. Et ils ont traduit des connaissances, ces connaissances qui sont devenues des connaissances scientifiques. Et ce qu’il en tire qui est très important, c’est que la science africaine repose sur la pratique, ce qu’il appelle le problem solving process, ce que les Africains essaient c’est d’avoir des problèmes et de les régler. Et il considère justement que le laboratoire africain, c’est pas un laboratoire fermé, c’est un laboratoire ouvert. Et ce laboratoire ouvert, c’est le laboratoire de la vie, donc la science et la technologie sont des choses qui sont liées à ça. Et c’est ça qui est remis en cause. Et, probablement, c’est ça qui crée des problèmes d’une adaptation.

La grande question, c’est : est-ce que la science occidentale est universalisable comme les Occidentaux le disent? Et quelles sont les conséquences de ce processus sur une science qui est différente? D’autant plus qu’il y a, si vous voulez, une opposition assez intéressante à avoir. C’est la question que, en fait, ce que certains anthropologues appellent le « génie du paganisme ». C’est un génie qui est totalement différent de la raison unitaire occidentale. Parce que c’est, effectivement, un esprit scientifique et philosophique qui remet totalement en cause la logique de l’un pour mettre en valeur toujours la diversité, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de vérité absolue et c’est l’énorme problème. Quand une science et une philosophie reposent sur des vérités provisoires, quelle peut être la relation avec une science qui, au contraire, est toujours à la recherche d’une règle, à la recherche d’un principe?

« La grande question, c’est : est-ce que la science occidentale est universalisable comme les Occidentaux le disent? »

– Mamadou Diouf

En collaboration avec le CIRCEM et l’AISLF, Jurivision présente une série d’entretiens réalisés dans le cadre du XXIIᵉ Congrès international des sociologues de langue française. Intitulé « Sciences, Savoirs et Sociétés », le Congrès a réuni plus de mille scientifiques francophones et francophiles à l’Université d’Ottawa en juillet 2024.

Dans ce billet visuel, le professeur Mamadou Diouf compare l’histoire occidentale à l’histoire telle qu’elle est pensée et enregistrée par les sociétés africaines. Il explique les distinctions entre l’oralité et le principe de l’archivage et aborde l’impact de la colonisation sur la production de savoirs en Afrique. Il conteste l’universalité de la science occidentale et souligne certaines caractéristiques de la science africaine, dont l’importance de la pratique et de la résolution de problèmes.

Mamadou Diouf parle davantage de la science et de l’histoire africaines dans l’épisode Sciences, savoirs et sociétés (Partie 6) : Enjeux et défis scientifiques contemporains des Balados du CIRCEM.

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