Normalement, dans l’élaboration d’un projet de loi, il y a une phase de développement des politiques, une phase d’approbation de la direction qu’on prend par l’exécutif – le Cabinet –, une phase de rédaction, et là il y a la phase parlementaire.
Tout ça a été vraiment comprimé énormément.
D’ordinaire, nous travaillons avec des analystes de politiques, et ils prennent le projet en charge et assurent la liaison avec leurs supérieurs. Pendant la COVID, nous n’avions pas le temps de procéder ainsi. Nous travaillions souvent directement avec des personnes qui avaient un pouvoir décisionnel. C’était indispensable.
L’élaboration d’un règlement peut s’étaler sur plusieurs années. Ici, c’était une question de jours.
On a travaillé fort. On a travaillé de longues heures, des journées et des soirées. Moi, j’ai jamais travaillé si fort de toute ma vie.
Le premier projet de loi d’urgence a été, je pense, sanctionné le 23 ou le 24 mars.
Un mois avant ça, il y avait cinq cas en Ontario, aucun cas au Québec, quelques-uns, peut-être un peu plus en Colombie-Britannique. Et donc l’idée qu’on se dirigeait vers quelque chose d’aussi drastique, je pense qu’un mois avant ou à peu près, c’était probablement pas dans beaucoup d’esprits. Naturellement, il y a eu une espèce de crescendo, une accélération immense de toutes les mesures à prendre.
Les choses se faisaient très vite dans le monde de la COVID. Le gouvernement voulait de toute urgence faire adopter des lois afin de régler certains enjeux. Le gouvernement fédéral voulaitagir dans ses champs de compétence pour faire avancer les choses, par exemple à l’égard des prestations d’aide financière pour les Canadiens . Il avait besoin de textes législatifs pour le faire. Nous devions donc réagir très rapidement. Le gouvernement a obtenu le consentement unanime des partis de l’opposition pour adopter au Parlement des projets de loi en une journée au lieu de l’année ou des quelques mois normalement requis pour ce faire.
Je travaille pour la section de la réglementation de Santé Canada. Donc nous, on était dans l’épicentre de la gestion de la pandémie. Donc dès les premiers signes de pandémie en Chine, notre équipe a été appelée à intervenir. Lorsqu’on a voulu rapatrier des gens de la région de Wuhan au Canada, il a fallu préparer des textes pour s’assurer que les gens qui revenaient allaient se soumettre à une quarantaine. Donc dès le départ, notre activité législative a été affectée par la venue du COVID.
C’est important de comprendre la distinction entre un projet de loi, un projet de règlement et les autres instruments qui peuvent être créés par le gouvernement.
D’une part, la loi se veut un cadre beaucoup plus général qui est préparé en vue d’une analyse par les parlementaires. Donc, c’est un texte qui est déposé au Parlement et qui sera examiné par les parlementaires en vue d’une adoption. Les règlements sont des textes qu’on dit « délégués ». C’est-à-dire que lorsqu’on construit un projet de loi, on prévoit des dispositions habilitantes permettant à un délégué – souvent le gouverneur en conseil – de prendre des textes législatifs. Évidemment, le Parlement ne peut pas se pencher sur toutes les questions qui se posent dans un domaine donné. Si on regarde un exemple particulier dans le monde des médicaments, la Loi sur les aliments et drogues offre un cadre très général et prévoit que certains règlements peuvent être pris par le gouverneur en conseil. Lorsque la loi est adoptée, le gouverneur en conseil peut aller de l’avant avec la prise de règlements. Donc, ce sont des textes qui sont beaucoup plus détaillés et qui viennent exposer en détail la façon dont l’activité dans un domaine donné sera encadrée par le gouvernement fédéral.
Pour mieux comprendre les services législatifs au sein du ministère de la Justice, il faut comprendre que le ministère de la Justice a pour mandat d’offrir des services aux différents ministères clients. Par exemple, à Santé Canada, ils ont des besoins en matière de conseils juridiques, en matière d’activités législatives, et le ministère de la Justice va offrir des services à cet égard aux ministères clients. Ça peut être Santé Canada, ça peut être Transports Canada. Nous fournissons notamment des services en matière d’activités législatives à la fois du côté législatif, donc pour la rédaction des lois, et à la fois d’un point de vue réglementaire – donc des services très spécialisés pour permettre aux ministères clients, par exemple Santé Canada, de créer les textes législatifs dont ils ont besoin pour mettre de l’avant leurs politiques en matière de santé publique.
Les services de rédaction, on est l’équivalent un peu, presque d’une agence centrale. En fait, c’est un service offert de manière centrale à l’ensemble du gouvernement. Alors on écrit tous les projets de loi à l’exception des lois fiscales et on travaille de concert avec les services juridiques des ministères clients qui, eux, vont représenter les clients en salle de rédaction. Ils ont une bonne connaissance du régime actuel et des changements que veulent apporter leurs clients.
Notre première interaction a lieu lorsqu’on est affectés à un dossier, ce qui signifie généralement qu’un ministère a contacté la section de la législation du ministère de la Justice pour l’informer qu’il prévoit présenter un projet de loi ou qu’il a reçu des instructions de son ministre pour commencer à préparer la politique qui sous-tend une nouvelle série de modifications législatives.
Nous sommes informés du dossier et nous demandons les instructions de rédaction – un document qui nous donne l’information sur ce que nous devons transformer en langage législatif. Ces instructions finiront par être incorporées dans un mémoire au Cabinet. Toute législation proposée par le gouvernement est une décision du Cabinet.
De nos jours, on reçoit souvent les instructions de rédaction à l’avance, avant qu’elles soient coulées dans le béton par une décision du Cabinet. On commence par examiner ces instructions afin de déterminer ce que l’on doit rédiger, quelles lois doivent être modifiées, où se trouve le problème exactement, quelle approche on favorise a priori. Il y a souvent des conversations très utiles, des conversations de haut niveau avec ceux qui nous fournissent des instructions, soit les analystes de politique des ministères clients et leurs conseillers juridiques – donc mes collègues du ministère de la Justice qui œuvrent dans les différents ministères clients – sur ce qu’ils essaient d’accomplir, sur la structure juridique. Encore une fois, nous n’avons pas d’expertise particulière en ce qui concerne, par exemple, la Loi sur la marine marchande du Canada. Ce sont mes collègues de l’unité des services juridiques de Transports qui vivent avec cette loi jour après jour – ils sont au courant de toutes les lois de base, des traités internationaux quant aux activités maritimes et de toutes sortes de choses du genre. Nous avons besoin de leur expertise, mais nous avons aussi notre propre expertise sur la façon de structurer les idées dans un texte législatif, et on discute dès le départ pour déterminer la meilleure façon de procéder.
Tôt ou tard, on se retrouve dans une salle de rédaction.
Il y a quatre auditoires au Canada en termes de rédaction des lois : il y a des civilistes et common lawyers, francophones et anglophones. Pendant de longues années, pendant des décennies, c’était rédigé principalement en anglais et c’était traduit par la suite. Alors pour rehausser, si on veut, la qualité de la version française en particulier, on a développé un système de corédaction des lois, c’est-à-dire que les deux versions sont rédigées en même temps.
Ainsi, il y a un avocat anglophone et un avocat francophone sur le dossier qui rédigenten même temps. Chacun rédige sa version distincte du texte à la lumière de ce que l’autre personne rédige pour s’assurer que c’est cohérent. Ainsi les deux rédacteurs ont accès aux représentants du ministère client afin de pouvoir poser des questions sur leurs objectifs de politique.
Ça force à s’assurer d’une pleine équivalence juridique des deux versions.
Mon collègue et moi-même sommes assis d’un côté de la table, devant nos écrans d’ordinateur et nos claviers. De l’autre côté de la table se trouvent ceux qui nous donnent des instructions, soit, les agents des politiques et le conseiller juridique de l’unité des services juridiques du ministère en question. Ce sont les interactions entre lces trois participants – le rédacteur législatif, les services juridiques et le ministère client – qui génèrent une bonne législation, une bonne communication.
D’une part, nous avons des avocats spécialisés dans la rédaction de textes législatifs et d’autre part, nous avons des avocats spécialisés dans la rédaction de textes règlementaires. Au bout du compte, leurs activités sont similaires à bien des égards. D’une part, les conseillers spécialisés en législation connaissent mieux le processus parlementaire; de l’autre, nos conseillers législatifs sont là pour aider les ministères à préparer des règlements. Ces textes sont souvent complexes et détaillés; il est donc utile d’acquérir une expertise dans un domaine précis afin de soutenir le mieux possible nos différents ministères clients.
Il y a une chanson des Spice Girls, Wannabe. Je crois que c’était leur première chanson, et ça commence par une conversation : « I’ll tell you what I want, what I really really want – So tell me what you want, what you really really want ». Et c’est la question que nous posons tout le temps dans la salle de rédaction : qu’est-ce que vous voulez vraiment faire ici? Qu’est-ce que vous essayez d’accomplir? Nous essayons donc toujours de déterminer exactement ce qu’il faut faire pour atteindre l’objectif de politique, l’effet que le gouvernement veut obtenir.
Nous pouvons passer une journée entière dans une salle de rédaction. Pour un dossier vraiment urgent, nous passerons une journée, une soirée et une nuit entières dans cette salle pour essayer de déterminer quoi écrire pour mettre en œuvre la politique d’une manière juridiquement solide.
Normalement, dans l’élaboration d’un projet de loi, il y a une phase de développement des politiques, une phase d’approbation de la direction qu’on prend par l’exécutif, le Cabinet – oui, c’est ce qu’on veut. Il y a une phase de rédaction. Il y a une phase de révision de ce qu’on a fait, une espèce de contrôle de la qualité à la toute fin, puis on dépose, et là il y a la phase parlementaire. Tout ça a été vraiment comprimé énormément. Alors je parle vraiment de la première phase, les premiers projets de loi en réponse à la pandémie. Tout ça a été comprimé immensément.
Pour ce qui est de tout qui a trait à l’élaboration des projets de loi, il y a certaines phases qui sont manifestement chevauchées, superposées. C’est-à-dire qu’on fait du développement politique, on rédige et on va chercher les approbations un peu en même temps, un peu de manière cyclique et constante.
Certains des projets de loi étaient très ciblés. Si on regarde le projet de loi C-13, il y a 18 parties; 18 parties, ça veut dire 18 morceaux de politiques par différents ministères. Mais ça veut dire probablement plus d’une douzaine d’équipes de rédaction travaillant de manière simultanée. Il y avait une espèce de tension sociale ou d’inquiétude sociale assez répandue et nous, on travaille pour aider le gouvernement, le Parlement, à prendre certaines mesures visant à alléger, à retirer un peu de tension.
Normalement, pendant la rédaction, nous travaillons avec des personnes qui nous donnent des instructions, soit les analystes politiques; ils prennent le projet et assurent la liaison avec leurs supérieurs. Pendant la COVID, nous n’avions pas le temps de procéder ainsi. Nous travaillions souvent directement avec des sous-ministres adjoints et des directeurs généraux, des personnes qui avaient un pouvoir décisionnel, et c’était indispensable. Nous avions besoin de travailler avec des personnes capables de prendre des décisions sur des enjeux de politique très précis – le genre de choses dont les plus hauts niveaux ne s’occupent pas normalement, mais qui sont nécessaires pour finaliser une règle de droit et créer un texte juridique.
Dans le contexte de la COVID-19, nous ne pouvions pas prendre notre temps. Tous nos meilleurs éléments étaient réunis dans une salle de rédaction et il n’y avait aucune instruction de rédaction. Nous avions des modèles d’actes, nous avions une très bonne compréhension du cadre et nous avons mis au point le nécessaire pour répondre à cette situation bien précise. Tout s’est fait dans un délai très court. Un règlement peut être préparé sur une période de plusieurs années. Ici, c’était une question de jours.
On a travaillé – on a travaillé fort, on a travaillé des longues heures. Des journées et des soirées. Vraiment, moi, j’ai jamais travaillé si fort de toute ma vie.
Je me souviens d’une fois où nous étions pressés de sortir un texte et où mon directeur n’arrêtait pas d’envoyer des courriels demandant si nous avions terminé. Je n’avais jamais fait ça auparavant, mais j’ai dû dire à mon directeur et à un sous-ministre adjoint : « Arrêtez de nous parler! Laissez-nous finir et nous vous rejoindrons dans environ cinq minutes s’il n’y a pas d’autres interruptions. » C’est très inhabituel. Le gouvernement est une organisation plutôt hiérarchisée. Normalement, je ne dirais jamais à un sous-ministre adjoint d’arrêter de me parler, mais il faut ce qu’il faut – nous devions sortir ce texte et la meilleure façon de le faire dans cette situation était de finir de l’analyser et de produire quelque chose à leur faire parvenir le plus rapidement possible.
Ça a épuisé tout le monde. Nos journées de travail commençaient à 7 h. Vers 17 h, ma patronne – la directrice de la section de la législation qui est vraiment une femme incroyable, Jackie Cool – on se disait « OK, on fait rentrer les gens au bureau pour le travail de coordination de dernière minute. » À distance, au début, on savait moins comment le faire, donc il a fallu faire ça. Et là, on commençait une autre partie de notre journée de travail, à 18 h, jusqu’à… on l’a fait une fois jusqu’à 4 h 30 du matin, une journée ou deux plus tard, jusqu’à 1 h du matin.
Lorsqu’on prépare des textes législatifs, nous avons besoin de l’appui de nos collègues spécialisés en matière de droit constitutionnel. Nous avons besoin de nos experts en matière de droits de la personne. Nous avons besoin de l’avocat qui connaît le régime de la Loi sur les aliments et drogues sur le bout de ses doigts. Nous avons besoin des jurilinguistes pour nous aider. Lorsque tout va à 100 milles à l’heure, il faut que toutes ces personnes soient disponibles et collaborent – collaborent de manière efficace. Et c’est cette collaboration-là, moi, qui m’a impressionnée. L’efficacité avec laquelle tous les intervenants ont travaillé a permis une réponse extrêmement solide de la part du ministère de la Justice et de la part du gouvernement de manière plus large, et pour moi, ça, ç’a été le succès.
Je l’ai vu dans les décrets pris aux termes de la Loi sur la quarantaine. Je l’ai vu dans les textes qu’on a pris aux termes de la Loi sur les aliments et drogues. Je l’ai vu du côté du projet de loi C-13 qui a été préparé afin de créer les mesures législatives qui étaient nécessaires pour répondre au COVID.
C’était du travail de collaboration à tous les niveaux. Pour moi, ça, c’est le plus grand succès.
Ça a été un moment de réel service public. Il y avait un côté tout à fait admirable, et je pense que les gens qui y ont pris part, même s’ils étaient au sortir épuisés, je pense qu’il y avait un sentiment de fierté. Je pense qu’ils ont compris aussi – on a tous compris à un moment donné, assez rapidement, que la situation était sévère et qu’il fallait vraiment redoubler d’efforts – que c’était un moment pour vraiment se donner, pour servir.