MES : Bonjour, Monsieur le Juge en chef.
RW : Bonjour, maître Sylvestre.
MES : C’est un plaisir de vous accueillir, toujours un plaisir de vous revoir ici, à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
RW : C’est toujours un petit bonheur quand je reviens ici.
MES : Vous êtes ici un peu chez vous.
RW : Tout à fait, tout à fait.
MES : Il y a plusieurs institutions canadiennes qui se sentent présentement interpellées par les questions d’équité, de diversité et d’inclusion. Plusieurs institutions – si je pense au milieu universitaire – qui décident d’entreprendre et de mettre en place des plans d’action, d’entreprendre des mesures pour favoriser davantage d’équité et d’inclusion, pour que les actions reflètent aussi la diversité de la population canadienne. On sait que le ministre la Justice a eu des ateliers aussi si cet automne sur la question de la diversité au sein de la magistrature. En tant que juge en chef, comment approchez-vous la question de la diversité au sein de la magistrature canadienne?
RW : Je vois cette question-là très reliée à la santé de notre démocratie, parce que notre démocratie dépend effectivement du respect des institutions par nos citoyens. Cette notion de diversité dans nos diverses institutions, évidemment, est liée à la santé de la démocratie. En d’autres mots, les gens doivent se reconnaître dans leurs institutions pour pouvoir les apprécier et les respecter.
Il n’y a rien de pire qu’une organisation ou une institution qu’on ne connaît pas. Comment peut-on apprécier quelque chose qu’on ne connaît pas? Je pense que c’est normal et souhaitable que nos institutions puissent représenter la diversité que l’on retrouve dans notre société. Ça prend plusieurs formes, bien sûr. Il y a des institutions dans lesquelles on peut plus facilement s’assurer une plus grande diversité que dans d’autres. Il y a des institutions dans lesquelles cette diversité va s’accomplir dans un délai plus long que dans d’autres. Mais le principe demeure le même, et je pense qu’il faut viser, tendre vers une plus grande diversité dans nos institutions, et en particulier dans le système judiciaire, sur les différentes cours à travers le pays, incluant la Cour suprême du Canada.
MES : Qu’est-ce qu’on peut faire pour accroître la diversité au sein de la profession juridique d’abord, puis au sein de la magistrature?
RW : La première chose, c’est d’en parler. On en parle là, mais on n’en a pas toujours parlé. Je pense qu’avec le discours viennent les actions. C’est un peu comme l’accès à la justice. On en parle depuis longtemps. J’étais bâtonnier de Montréal en 2001-2002 et on en parlait déjà. Moi, j’aime plus parler d’actions de justice. Je pense que pour la diversité, dont on parle également depuis quelques années, on devrait peut-être parler d’actions de diversité pour mettre en place la diversité. Mais le propos doit être continu quand même. On doit maintenir la conversation, on doit maintenir le sujet pour continuer à alerter ceux et celles qui peuvent décider de décider dans le bon sens. Et ça, c’est continuel, c’est continu. En tant que juges, ce n‘est pas nous qui nommons, mais on peut encourager, on peut inciter, on peut amener les gens à adopter cette position–là.
MES : Vous pouvez compter sur les universités en tant que partenaires. Je peux vous dire que déjà, notre population étudiante a beaucoup changé depuis quelques années, et pour le mieux. Je pense que c’est important aussi pour eux d’avoir des modèles, à la fois dans la profession juridique, mais aussi au niveau judiciaire. Comme vous le savez, il y a certaines populations, par exemple les populations racisées, les personnes autochtones, mais aussi d’autres populations marginalisées sur le plan socio-économique, qui sont surreprésentées dans le système de justice criminelle en particulier, et parfois sous–représentées dans d’autres domaines, donc où leurs besoins juridiques ne sont pas nécessairement comblés, par exemple en matière familiale, en matière civile et même en matière criminelle au niveau de la représentation. Qu’est–ce que le système judiciaire peut faire pour mieux répondre aux besoins de ces communautés et pour les appuyer?
RW : Le système judiciaire, par définition, si on parle des tribunaux, va répondre lorsqu’ils sont interpellés. On n’est pas des autorités publiques qui font les législations ou les approches publiques. Mais lorsqu’on est interpellés, par exemple, notre obligation est de résoudre et de lancer le message par nos jugements. On n’est pas sur la place publique; ce n’est pas notre devoir, notre obligation, ni même notre responsabilité d’être sur la place publique en lieu et place des autorités publiques dûment élues par la population. Mais on a un rôle à jouer.
On a parlé tantôt d’une communauté surreprésentée dans les pénitenciers, par exemple pour les Autochtones. C‘est inadmissible. Inadmissible. On a simplement à regarder les chiffres. Il y a des arrêts de la Cour suprême; il y en a un d’ailleurs que j’ai rédigé moi–même qui a clairement dénoncé la situation et incité les autorités publiques à corriger la situation. Par le biais nos jugements, donc, on peut faire ça. Il n’est pas normal que certains groupes soient sous–représentés dans les fonctions publiques, mais surreprésentés dans des endroits comme les prisons et les pénitenciers. C‘est un travail de longue haleine. Il n’y a pas de solution magique. Chacun a sa responsabilité. Je pense que les tribunaux sont très conscients. Lorsqu’ils voient une situation légalement intenable et lorsqu’ils sont interpellés, ils réagissent, je pense. Il appartient aux autres de faire la même chose.
MES : Est-ce que la justice doit aussi s’adapter? On sait qu’à travers le pays, dans pratiquement toutes les provinces, il y a l’émergence de tribunaux spécialisés, de juges d’instance qui trouvent des façons différentes de rendre justice. Comment voyez-vous ces initiatives? Est-ce que vous voyez que ça contribue?
RW : Ça contribue énormément. Je sais qu’à Montréal, par exemple, à la cour municipale, il y a tout un domaine qui concerne les gens qui souffrent de [problèmes de] santé mentale. Ces gens-là, évidemment, ne peuvent pas être traités comme tous les autres délinquants. Ils ont des besoins. Ce sont des gens qui ont besoin de soins. Il y a cette division–là qui a été mise sur pied par les juges en chef de la cour municipale à Montréal. On en retrouve dans d’autres provinces également. On a réalisé, donc, que les citoyens canadiens – ça peut être les communautés autochtones ou racisées, ou des gens qui ont des besoins particuliers comme au niveau de la santé mentale – peuvent être traités différemment. Ce n‘est pas la manière traditionnelle – avec la poursuite en matière criminelle et la sentence traditionnelle, par exemple – qui va régler le problème. Il y a une ouverture d’esprit à ça. Je pense que les juges fonctionnent très bien dans ce sens–là; ils sont ouverts à explorer les nouvelles méthodes. Des fois, ils sont plus actifs même que les politiciens. Mais c’est sûr qu’en bout de ligne, on dépend quand même du politique et du gouvernemental pour mettre en place des programmes financés par le public.