La recherche où je confronte la mort et le droit, je la mène depuis plusieurs années déjà. Au Québec, on n’a pas de loi qui va déterminer le moment de la mort. On parle notamment, aux articles 122-123 dans le Code civil du Québec, du fait que c’est un médecin ou, à défaut, deux agents qui vont constater la mort d’un individu. Mais en aucun cas le droit ne va déterminer le moment de la mort. J’ai donc trouvé ça intéressant à aborder dans un premier temps, pour ensuite me dire : « mais qu’est-ce que le mort en droit? »
Planiol, qui était un auteur français, a dit « Les morts ne sont plus rien ». D’autres ont été un peu moins catégoriques, moins fatalistes, et ont écrit « le mort est une quasi-personne », « une demi-personne », « une personne résiduelle ». Moi, j’ai qualifié ça de zombie, de mort-vivant.
Qu’est-ce que le mort?
Je suis parti de ce constat, donc, d’un cadavre, d’une personne où on a un corps de son vivant, on devient, on naît un corps quand on est mort. Cette oscillation, donc, de l’être, du sujet de droit vers un objet de droit, ça m’a intéressée tout particulièrement, par rapport à son statut juridique et également à sa protection juridique, notamment par le vecteur de la dignité humaine.
Ces concepts de cadavre, ou encore d’animal ou de robot, je les ai nommés comme étant des OJNI, et non pas des OVNI… Ce sont des objets juridiques non identifiés et ça, ça m’interpelle vraiment, tout particulièrement puisqu’en droit, il faut savoir qu’on a un héritage légué du droit romain, qui a servi vraiment de force inspiratrice pour la construction de notre droit privé au Québec. C’est la distinction, ou encore la summa divisio, entre objet, sujet, personne, bien.
Dire qu’un cadavre est un sujet de droit, ce serait faux. En contrepartie, dire que c’est un objet – mais n’importe quel objet –, ce serait tout autant critiquable. Donc, ces OJNI, comme je les appelle, ça me stimule beaucoup dans mes réflexions, comme juriste bien entendu, pour revoir les catégories juridiques, aller plus loin et peut-être proposer une catégorie sui generis hybride intermédiaire qui pourrait répondre plus adéquatement à ce qu’ils sont en réalité.
On pourrait rétorquer que c’est théorique de dire « c’est un bien, c’est un être, c’est un sujet, c’est un objet », mais au final, ce qui m’intéresse aussi, c’est de savoir comment on peut protéger le cadavre en droit, en droit privé.
Depuis le mois de janvier 2019 est entrée en vigueur la loi sur les activités funéraires, et cette loi tend à assurer le respect, mais également la dignité de tout cadavre ou encore de cendres humaines. Cette loi m’intéresse tout particulièrement, je dois avouer, et je collabore avec la Corporation des thanatologues du Québec. J’offre des formations en droit aux thanatologues et j’apprends beaucoup des thanatologues. Je leur pose la question : comment vont-ils mettre en application l’existence de ce respect, de cette dignité que l’on doit au cadavre? Qu’est-ce que ça veut dire traiter un cadavre, ou encore disperser les cendres, dans le respect et la dignité?
Ce sont des termes vagues, flous, ambigus, et ça m’intéresse beaucoup de savoir comment on va appliquer cette notion de dignité qui pourrait protéger un cadavre et également les cendres humaines.