Mes intérêts, disons, ces 15 dernières années, sont nés essentiellement dans un contexte de changement sociopolitique en Tunisie. Donc comme chercheur engagé, je me suis trouvé en plein mouvement social, en plein activisme, donc, social. Et en tant que chercheur, bien sûr, je trouve que ça relève de mon devoir d’étudier les mouvements par lequel, ou par lesquels passe ma société et également les jeunes, donc, tunisiens.
Alors, je m’appelle Zouheir Ben Jannet, je suis maître de conférences en sociologie à l’université de Sfax. Je fais partie du laboratoire ECUMUS – c’est État, Culture et Mutations des Sociétés – et je suis l’ancien vice-président de l’Association Tunisienne de Sociologie. Je m’intéresse essentiellement à la question de la jeunesse d’une manière générale, mais c’est toujours dans une perspective de changement social, de mouvements sociaux, de pratiques de jeunes, des vulnérabilités également qui touchent les jeunes, en Tunisie essentiellement, mais je m’intéresse également à la situation de la jeunesse plus ou moins dans le monde francophone et surtout, en ce qui concerne les mouvements sociaux surtout, l’implication des jeunes dans les mouvements sociaux, essentiellement.
Pour la Tunisie, la question de la décolonisation du savoir n’est pas nouvelle. C’est une question qui date, disons, juste après l’indépendance, c’est-à-dire à la fin des années 50, un mouvement intellectuel en Tunisie est né à l’époque pour parler du savoir colonial qui dominait la scène, disons, culturelle et intellectuelle dans le Maghreb d’une manière générale et en Tunisie en particulier. Des questions qui se posaient, et qui se posent aujourd’hui également : jusqu’à quel point on peut analyser la société, des phénomènes sociaux particuliers, si vous voulez, par un corpus qui ne lui appartient pas, qui n’est pas produit dans ce contexte-là. Également, une autre question, c’est : est-ce que il n’y a pas dans la littérature tunisienne et arabophone, donc, des concepts et des méthodes et du savoir, disons, qui permettent de comprendre la société tunisienne contemporaine, sachant que Ibn Khaldun, qui était, à la base c’est un écrivain, un fameux écrivain arabe, qui vivaient au 15e siècle, il a toute une théorie sur le développement des sociétés et ça a été traduit en français, en anglais, et reconnu également par pas mal de sociologues et de fondateurs de la sociologie. Donc c’est pour cela qu’ils disent parfois : pourquoi ne pas faire un petit retour vers l’héritage théorique, sociologique arabe pour comprendre la situation des pays arabes et de la Tunisie, en particulier? La sociologie tunisienne, qui a actuellement donc, disons si on commence à compter à partir des années 60, c’est-à-dire, plus d’un demi-siècle, pourquoi cette sociologie elle n’a pas réussi à constituer son propre, disons, champ conceptuel, ses propres méthodologies, ses propres, si vous voulez, concepts qui permettent aux jeunes chercheurs d’expliquer et de comprendre la situation par laquelle passe la Tunisie actuellement.
Comme je vous ai dit, la Tunisie, elle profite de cet héritage qui revient à Ibn Khaldun qui vivait à l’époque, donc, aux 14e et 15e siècles, mais aussi à une génération d’indépendance, les premiers écrits en sociologie, qui parlaient beaucoup de la modernisation des sociétés, de l’école, de l’éducation surtout, de planning familial, de la santé, du développement, des inégalités sociales, des inégalités, disparités régionales et tout cela, tout cela a été bien étudié par les sociologues. Après l’année 2011, ce qui est nouveau pour les sociologues tunisiens, c’est ce qui s’est passé, en un laps de temps plus ou moins court, un changement, si vous voulez, pratiquement radical au niveau politique, mais aussi même sur le plan culturel, sur le plan de débats, sur le plan espace public et tout cela, donc, ce qui a poussé les chercheurs à changer un peu, à rectifier le tir, si vous voulez, en peut-être ouvrant d’autres pistes de recherche, qui concernent, essentiellement, la participation politique, la citoyenneté, le vivre ensemble, tout ce qui est tolérance, tout ce qui est, bien sûr avec des enjeux nouveaux comme le terrorisme à un certain moment, comme les questions qui touchent à la religion et tout ça. Donc ça a ouvert des pistes de recherche très variées. Et on trouve de plus en plus de sociologues engagés dans ces pistes de recherche et qui travaillent, que ce soit dans des réseaux en Tunisie ou bien ailleurs.
Personnellement, pendant les dernières années, j’ai fait partie de plusieurs groupes de recherche interdisciplinaire internationaux. Nous avons travaillé sur le terrorisme, sur l’extrémisme violent, sur la situation de la femme, sur l’inégalité, sur le vivre-ensemble, et cetera. Donc on trouve de plus en plus de sociologues qui s’intéressent à ces nouvelles questions. Je me sens par rapport à ce qui se passe, très satisfait par rapport à ce que j’ai fait avec plusieurs collègues sociologues tunisiens qui essaient de faire de leur mieux, qui présentent toujours des conférences, qui écrivent toujours des textes, des articles, des ouvrages, qui ont contribué aux débats qui se déroulent en Tunisie depuis des années et qui contribuent d’une manière ou d’une autre, qui essayent d’une manière ou d’une autre à faire, si vous voulez, une sorte de promotion d’une sociologie engagée, d’une sociologie qui peut défendre vraiment l’intérêt des groupes, si vous voulez, minorisés, des populations vulnérables, des régions, si vous voulez, défavorisées, et cetera, il y a une sociologie qui soutient et qui tient très bien dans la Tunisie actuelle.