Ça, c’était très important pour moi parce que j’allais dans des colloques internationaux parler des Franco-Ontariens. Puis j’avais une certaine fierté à dire, ben nous aussi on est un objet d’étude intéressant pour réfléchir sur le rôle des minorités dans la vie politique, et cetera.
Alors bonjour, je m’appelle Linda Cardinal, je suis vice-rectrice associée à l’Université de l’Ontario français à Toronto. J’ai une formation de sociologue, j’ai été formée à l’École des hautes études en sciences sociales et quand j’étais plus jeune, je m’intéressais beaucoup à la sociologie des mouvements sociaux et graduellement, je me suis intéressée à la sociologie de l’action publique, les politiques publiques. Je m’intéressais à comment les acteurs participent à l’action, et mes acteurs, moi, c’était la francophonie, la francophonie en milieu minoritaire, ça m’a toujours intéressé. Et à un moment donné, j’ai passé de la sociologie à la science politique, ici à l’Université d’Ottawa. Et là, ben, j’ai été invitée à travailler vraiment à développer tout ce qui est le champ des études minoritaires, mais aussi les politiques linguistiques.
Dans mon travail plus scientifique, je me suis intéressée beaucoup à redéfinir la notion de régime linguistique. Et donc j’ai beaucoup travaillé là-dessus, c’est là où j’ai essayé de contribuer à l’avancement des connaissances et aussi à faire avancer la réflexion sur les groupes minoritaires, toujours à travers le cas des Franco-Ontariens, des francophones en milieu minoritaire. Et sur le terrain, ben, j’ai beaucoup travaillé aussi dans une perspective d’influencer les politiques publiques, mais aussi de travailler au développement du milieu. Et là ça soulève toutes sortes de paradoxes, quand on est chercheur, c’est-à-dire est ce que comme chercheur on fait que essayer de faire avancer les connaissances ou bien si on a aussi une responsabilité envers son milieu?
Mais là dans nos universités aujourd’hui, il y a une demande qu’on ait de l’impact. C’est une grande question, l’idée de quel impact un universitaire devrait avoir dans son milieu ou sur les politiques ou sur le plan économique. Et il y a toutes sortes de discours autour, et j’aimerais ça voir plus de recherches sur cette question, parce que il y a maintenant une industrie, je dirais, de l’impact en recherche. Donc cet impact il faut le mesurer, mais il y a pas seulement une façon d’avoir de l’impact. Moi, j’aimerais bien que nos gouvernements le reconnaissent, cet ensemble de façons qu’on a d’avoir de l’impact. C’est-à-dire, le savoir peut contribuer à une économie du savoir, mais peut aussi contribuer au bien commun. On peut avoir un impact médiatique, c’est-à-dire contribuer à la littératie de notre population. On peut avoir, oui, un impact économique. On peut aussi avoir un impact social, c’est-à-dire tous les gens qui luttent contre la pauvreté. Il y a aussi l’impact sur nos étudiants, on veut former la relève. Donc il y a toutes sortes de façons d’avoir de l’impact, il y a toutes sortes de moyens aussi avec lesquels on peut avoir de l’impact. Et, aujourd’hui, je dirais que il faut pas seulement penser notre impact en termes économiques ou économicistes. Il faut aussi le penser en termes social, et pour la francophonie canadienne, entre autres, c’est fondamental. Faut aussi qu’on se donne des moyens d’avoir cet impact, et surtout dans le contexte actuel, c’est-à-dire, on est tellement bombardé par la désinformation, par toutes sortes d’enjeux que c’est important que nos public, que notre milieu puisse être sensibilisé à tout ça dans sa langue. C’est pour ça que les sciences humaines, les sciences sociales, il devrait y avoir une exigence de la publication en français et on devrait donner des incitatifs aux chercheurs pour le faire. Alors qu’aujourd’hui, on a l’impression que on se sent pénalisé. On a des données qui montrent que il y a un problème; il y a de moins en moins de gens qui publient en français, notamment en sciences humaines et sociales, et c’est peut-être là le problème. Surtout que les données révèlent, notamment l’étude de l’Acfas, qui avait été pilotée par Vincent Larivière en 2021 sur la situation des chercheurs en milieu minoritaire, montre que notre objet d’étude, c’est le milieu minoritaire, c’est souvent les enjeux identitaires, les enjeux liés à la francophonie, ça peut être la santé et les milieux minoritaires, l’éducation, la petite enfance, l’immigration. Ce sont des thèmes qui sont très importants pour nous. Mais on sait que ces thèmes-là intéressent des publics francophones. Et là on a un public avec qui parler, tant sur le plan scientifique que sur le plan communautaire et social.
Alors moi je dirais aux jeunes de ne pas hésiter à publier en français, ça veut pas dire qu’ils peuvent pas publier dans d’autres langues, au contraire, c’est-à-dire le dialogue entre les différentes cultures scientifiques, ça peut être très intéressant. Puis nous, au Canada, on est vraiment bien placé, on maîtrise l’anglais, on maîtrise le français, on connaît les traditions françaises, les traditions américaines, on connait la tradition anglo-saxonne, on est capable de mélanger ces traditions dans nos travaux, puis ça donne des choses intéressantes. Il y a déjà beaucoup de traductions qui se fait, des francophones qui vont publier en anglais, mais qui vont aussi traduire leurs textes, les publier en français. Parce qu’il y a encore des chercheurs francophones qui considèrent que c’est important que les textes soient accessibles à un public francophone.
La traduction, c’est aussi comment traduire des concepts d’une langue à l’autre. Et ça, c’est vraiment intéressant et j’aimerais ça, moi, que il y ait par exemple, l’association lusophone de sciences politiques ou de sociologie, les hispanophones, qu’on travaille ensemble, les Japonais, qu’on travaille ensemble. Essayer de traduire, prendre des concepts, les traduire. Donc il y a tout ça. Et la traduction pour moi c’est aussi ça, comment on traduit des traditions scientifiques entre nous pour justement aller au-delà d’une seule façon de penser, qui serait la façon anglo-saxonne de faire la science ou de la recherche.
Mais la traduction des travaux en sociologie ou en science politique, les travaux en sciences humaines et sociales, on a très peu de financement qui sont alloués à la traduction. Par le passé, il avait des commissions royales d’enquête au Canada et là tout était traduit. Tout ce qui sortait en français était en anglais; tout ce qui sortait en anglais était en français. Pour la recherche, pour le dialogue aussi au Canada entre les francophones et les anglophones, c’était excellent parce que là on avait des textes en français qui avaient été traduits, qui pouvaient être lus en anglais et vice versa. Ça, je trouve que ça manque. Ça nous prendrait des programmes d’appui à la traduction. Il y en a un peu, mais c’est vraiment un champ qu’il faudrait davantage occuper et bien l’occuper, bien faire les choses pour favoriser justement la publication, la diffusion de nos travaux et leur valorisation dans différentes langues.