Être sociologue en Acadie, je dirais, il y a une grande responsabilité sociale. Puis on est très collés aussi sur nos enjeux, sur ce qui se passe autour de nous. Parce que finalement, si on fait pas l’étude de ces milieux-là, il y a personne d’autre qui va le faire.
Je m’appelle Michelle Landry. Je suis professeure de sociologie à l’Université de Moncton et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les minorités francophones et le pouvoir.
L’Acadie, c’est communément les francophones de l’est du pays. Donc par l’est, j’entends les quatre provinces atlantiques : il y a Terre-Neuve-et-Labrador qui a une très petite population francophone; la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, qui ont une population francophone un peu plus importante, mais qui est quand même un petit poids démographique au sein de leur province; puis au Nouveau-Brunswick, les francophones sont le tiers de la population, donc on a quand même un poids démographique et politique un peu plus important que dans les autres provinces. Donc communément, l’Acadie ça a été une colonie à l’époque de la Nouvelle-France, puis la population qui a été déportée au 18e siècle, mais dont une portion est quand même restée sur le territoire, a toujours gardé cette identité acadienne, avec un nationalisme qui s’est formé au 19e siècle, qui perdure encore aujourd’hui, avec donc ses propres institutions, sa propre fête nationale, son drapeau. Mais ça reste que d’un point de vue politique, aujourd’hui, dans la fédération canadienne, on est des francophones en situation minoritaire, ce qu’on appelle communément les francophones hors Québec. Et donc on partage cette réalité sociale et politique. Donc mes travaux portent à la fois sur l’Acadie, mais aussi plus largement sur la francophonie canadienne ou les francophones en situation minoritaire.
Les travaux de ma chaire m’amènent à poser une réflexion sur leur pouvoir. Mais par pouvoir, j’entends à la fois le pouvoir d’influence, mais aussi leur capacité de gérer leurs propres affaires, donc leur capacité en tant que peuple, communauté qui cherche quand même à avoir une certaine autonomie, un certain contrôle sur les affaires du groupe, de la communauté. Donc comment est-ce qu’une société qui n’a pas son état propre, n’a pas son propre gouvernement fait pour quand même avoir une certaine emprise, une certaine capacité d’agir sur elle-même? Donc c’est les grands questionnements qui traversent les travaux de ma chaire. D’un point de vue de pouvoir aussi, sur la question du pouvoir d’influence, bien on touche aux sphères politiques, gouvernementales, leurs interactions avec d’autres groupes, donc les anglophones, le Canada, les anglophones de manière générale, le Québec aussi. Je travaille de plus en plus aussi dans une perspective de mouvements sociaux. Donc on a ces politiques linguistiques, des droits linguistiques au Canada, mais comment est-ce qu’elles ont été acquises? C’est pas juste apparu comme magie. C’est pas les gouvernements qui ont accepté de bonne foi de les octroyer. Ce sont des mobilisations de longue date. Ce sont des groupes, des parents, des citoyens, citoyennes qui se sont mobilisés pour lutter et puis obtenir une certaine reconnaissance. Donc, mes travaux se dirigent beaucoup à étudier ce qu’on appelle communément les organismes de la francophonie canadienne, donc les associations communautaires qui représentent les francophones en milieu minoritaire. Il y a un organisme parapluie, la FCFA, puis il y a aussi des organismes porte-parole dans toutes les provinces, puis il y a plein d’organismes sectoriels qui représentent les jeunes, les parents, les aînés francophones des différentes provinces. Et puis moi, je m’intéresse à, mais ces organismes-là, c’est des organismes qui se mobilisent, on peut les considérer théoriquement comme des organisations de mouvement social, même si elles font plus du lobbying. Ça reste qu’à la base, ce sont des organisations militantes qui cherchent à défendre les droits et les intérêts des francophones.
Cette perspective de mouvement social m’a aussi amenée sur le terrain d’étudier le contre mouvement. Donc un mouvement qui s’oppose à cette avancée de droits et de politiques qui favorisent la minorité francophone. Donc c’est un mouvement qu’on appelle communément l’anti-bilinguisme. Mes travaux se concentrent au Nouveau-Brunswick parce qu’on a vraiment vu une résurgence de ce mouvement-là depuis les années, je dirais 2010, ça a commencé à se développer sur Facebook, puis ensuite des pages Facebook a découlé des associations, puis un parti politique qu’on peut qualifier de populiste, le People’s Alliance. Ce mouvement-là s’oppose surtout à l’exigence de bilinguisme dans les postes de la fonction publique. Donc pour eux, ils se voient comme des victimes, comme qu’ils seraient, ils auraient une chance inégale d’accéder aux emplois, aux bons emplois dans la fonction publique. Parce que beaucoup d’anglophones ne sont pas bilingues, puis la plupart des francophones sont bilingues, donc de leur point de vue, il y a une inégalité. Sans vraiment réaliser que les francophones ont appris l’anglais, évidemment. On nie un peu la réalité du fait minoritaire des francophones.
Je pense qu’il y a une légitimité à la sociologie de l’Acadie ou en Acadie, parce qu’on peut offrir des interprétations, des analyses sur le milieu dans lequel on est. Si on est nous-mêmes francophones en milieu minoritaire, on a une expertise. Par exemple, à l’Université de Moncton, on est plusieurs à travailler sur les francophones en milieu minoritaire, sur l’Acadie, donc c’est, on a vraiment un bassin d’expertise. Puis il y a plein de travaux à faire, c’est à dire qu’on peut aller ailleurs, mais tout a peut-être été fait, ou il y a beaucoup de choses qui ont été faites, tandis qu’on est tellement peu nombreux qu’il y a encore plein de champs de recherche à ouvrir puis à explorer.