D’un point de vue juridique, le préjudice physique va être beaucoup plus facile à qualifier, quantifier, indemniser, mais socialement, ce qu’on voit, c’est beaucoup plus des préjudices psychologiques et moraux. Et là, on rentre un peu dans l’angle mort du droit.
Bonjour, je m’appelle Audrey Ferron Parayre. Je suis professeure à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa. Actuellement, les recherches que je mène portent principalement sur les violences obstétricales et gynécologiques. Ça peut sembler étrange comme mots, mais en fait, les violences obstétricales et gynécologiques, ce que ça vise, c’est des comportements ou des traitements, évidemment dans un contexte obstétrical ou gynécologique, qui vont porter atteinte à l’intégrité, à la dignité de la personne, soit par leur caractère carrément inapproprié, mais ça peut être irrespectueux, dégradant, abusif. Bref, c’est assez large comme définition, mais on vise vraiment – en fait, la dénonciation de ces violences-là vise à rendre les soins en matière de santé reproductive des femmes plus sécuritaires, tant physiquement que psychologiquement, je pense. C’est probablement plus sur l’aspect psychologique même qu’il y a des enjeux que sur l’aspect physique.
Les violences obstétricales et gynécologiques sont susceptibles de survenir dans une multitude de contextes. On pense souvent beaucoup à tout ce qui est périnatalité, donc suivis de grossesse, accouchements, les soins qui viennent tout de suite après l’accouchement – recoudre le périnée, les examens pour vider l’utérus suite à ça – donc c’est souvent dans ces contextes-là que ça va arriver, mais on a aussi des situations qui vont se produire chez des adolescentes qui débutent leur suivi gynécologique, pour qui c’est une intrusion dans leur intimité, et là il y a un potentiel de violence qui peut survenir. Ça peut être aussi en matière de soins de fertilité, donc santé reproductive : les femmes, les couples qui désirent avoir des enfants et qui sont obligés d’avoir recours à des méthodes médicales pour ça. Ça peut aussi engendrer des violences obstétricales et gynécologiques. Je dirais qu’il ne faut pas non plus penser que c’est le propre nécessairement des médecins. C’est-à-dire que c’est des contextes de soins. Ça ne vise pas des professionnels. N’importe quel professionnel est susceptible à un moment ou un autre de causer ce genre de violence-là, et j’insiste : la grande, grande, grande majorité du temps, tout à fait involontairement et non intentionnellement. Reste que le résultat perçu pour la femme va être violent quand même.
C’est intéressant d’étudier les violences obstétricales et gynécologiques d’un point de vue du droit parce qu’à la base, c’est beaucoup quelque chose qu’on voit dans la médecine, de plus en plus dans la sociologie. Juridiquement, on n’a pas grand-chose, du moins au Québec. Il y a Louise Langevin, à l’Université Laval, qui en a fait un petit chapitre dans son livre sur la santé reproductive des femmes. Aux États-Unis, on a de plus en plus de juristes qui se penchent sur la question; en France aussi. Chez nous en fait, quand on regarde ça, d’un point de vue juridique, il n’y a pas de réponse qui soit spécifique aux violences obstétricales et gynécologiques. En ce moment, la seule avenue, c’est de faire une action en responsabilité civile professionnelle contre le soignant, ou de faire une plainte au Collège des médecins et que ça suive son cours en conseil de discipline, mais c’est pas propre à cette problématique-là, et c’est là où il y a peut-être des sensibilités, des enjeux, des particularités qui mériteraient soit qu’on en fasse quelque chose d’un peu plus spécifique ou, à tout le moins, qu’il y ait une sensibilisation auprès des décideurs qui soit faite, au même titre qu’on a sensibilisé les juges en matière criminelle aux infractions à caractère sexuel. Il y aurait, je pense, des parallèles à faire avec les deux.
Les travaux que je mène, et je dis je mène, mais c’est avec une superbe équipe de chercheurs qui proviennent soit d’autres domaines du droit, mais aussi de la sexologie, de la sociologie. Je pense que ce n’est pas un sujet qu’on peut aborder en ayant un seul filtre disciplinaire. Ça nous en prend plusieurs si on veut garder le moins d’angles morts possible.
Ce qu’on a fait, c’est qu’on a obtenu une petite subvention pour réunir plein de partenaires. Des représentantes d’organismes de femmes, des patientes partenaires, des infirmières, des sages-femmes, des médecins, des spécialistes, omnis. On a réussi à avoir tous ces gens-là dans une même pièce pendant toute une journée et on s’est dit : malgré la sensibilité du sujet, malgré les prises de positions parfois opposées qui peuvent être soulevées, sur quoi est-ce qu’on capable de trouver un terrain d’entente? Sur quoi est-ce qu’on est capable de se dire qu’il faudrait vraiment travailler ces aspects-là dans le futur? Et éventuellement, on a un projet qu’on espère qui sera financé où on vise à créer carrément un nouveau modèle théorique où on mélange à la fois la justice réparatrice, la prise de décisions partagée en médecine et les approches d’empowerment en sociologie, particulièrement en sociologie des femmes, pour essayer de créer quelque chose qui serait propre à l’étude des violences obstétricales et gynécologiques et qui nous permettrait d’aller chercher les points de convergence et de divergence dans les expériences et les perceptions à la fois des femmes, plus, plus, plus, victimes collatérales et autres, et des soignants aussi.
C’est certain que d’un point de vue strictement juridique – et il y a encore beaucoup de recherche qui doit être faite là-dessus, mais au même titre qu’on est en train de regarder pour créer des tribunaux qui sont spécialisés dans les violences sexuelles – je pense qu’il y aurait peut-être lieu dans le domaine médical de créer un cadre, une méthodologie propre à la santé reproductive des femmes et aux préjudices qui peuvent découler de ce type de violence-là certainement en matière civile, en matière déontologique. Ne serait-ce que la sensibilisation auprès des décideurs aussi, ce serait une avenue importante.