VIV(R)E LA RECHERCHE EN DROIT
Un droit qui punit ou un droit qui construit
La recherche en droit pour des solutions durables aux problèmes sociaux
TRANSCRIPTION FRANÇAISE
[Logo: uOttawa, Faculté de droit | Faculty of Law, Section de droit civil | Civil Law Section]
[Titre de la série]
VIV(R)E
LA RECHERCE EN DROIT
[Sous-titres]
Accès à la justice
Mobilisation des connaissances
Accès aux connaissances
Mobilisation de la justice
[Texte]
Le fonctionnement routinier des institutions produit des effets injustes
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra]
Si vous vous présentiez dans un palais de justice le plus près de chez vous un bon lundi matin et que vous assistiez aux comparutions, vous verriez tout un défilé de personnes pauvres, souvent en situation d’itinérance, avec des problèmes d’alcool, des fois des problématiques de santé mentale, venir plaider coupable à des infractions extrêmement mineures liées à des actes de survie dans la rue, et vous seriez donc fort étonné de constater à quel point notre système fait de la criminalisation de la pauvreté, des problèmes sociaux, et moins que des infractions de violence et des infractions qui portent atteinte aux droits des personnes.
[Titre de la vidéo]
Un droit qui punit ou un droit qui construit
La recherche en droit pour des solutions durables aux problèmes sociaux
Marie-Eve Sylvestre [Professeure, Faculté de droit, Section de droit civil] :
[Devant la caméra]
Mon nom est Marie-Eve Sylvestre. Je suis professeure à la Section de droit civil et détentrice de la Chaire de recherche de l’Université d’Ottawa sur le droit et les politiques pénales et la régulation des personnes marginalisées. Ce qui me motive : l’injustice d’abord, mais également dénoncer les façons dont le droit peut créer et également perpétuer les inégalités sociales, mais également essayer de trouver des solutions durables aux problèmes sociaux et à la façon dont le droit pourrait y contribuer.
[Sous-titre]
Martine
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra, avec le texte ci-dessous apparaissant sur le côté]
Au moment où on fait sa rencontre en 2014, Martine est une jeune femme dans la mi-trentaine en situation d’itinérance. Travailleuse du sexe à temps partiel, elle suit des traitements pour réduire sa dépendance aux opioïdes et elle vit avec le VIH. En 2008, Martine est arrêté une première fois pour avoir communiqué dans le but de se livrer à la prostitution, et elle est arrêté immédiatement par un policier qui va la détenir. Elle va comparaître le lendemain devant un tribunal. Lors de la comparution, la Couronne va s’opposer à sa remise en liberté. Elle va être renvoyée pour son enquête trois jours plus tard. À ce moment-là, Martine aura passé quatre jours en détention préventive dans une prison qui déborde, où la plupart des personnes n’ont pas encore été condamné à aucun crime. En plus, ça fait quatre jours que Martine n’a pas consommé, donc elle est en grande souffrance et elle présente plusieurs symptômes de sevrage involontaire. Dans ces circonstances-là, c’est sous la contrainte et en état de survie que Martine va accepter les conditions de remise en liberté qui lui sont imposées par le procureur de la Couronne et qui comprennent une interdiction de consommer de l’alcool et des drogues et surtout une interdiction de se trouver dans un périmètre qui couvre tout le centre-sud et le quartier Hochelaga-Maisonneuve de Montréal.
Effets injustes produits par le système pénal
détention inhumaine
punitions avant procès
indifférence à la souffrance
décisions sous pression
conditions déraisonnables
décisions qui déracinent
[Image d’une carte de Montréal montrant la zone interdite et l’emplacement des services sociaux]
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra, avec le texte ci-dessous apparaissant sur le côté]
Martine n’est pas en mesure, n’a pas les conditions nécessaires pour s’opposer aux conditions; pour dire, par exemple, qu’elle n’est pas capable d’arrêter de consommer aussi rapidement, qu’elle a besoin de fréquenter ces lieux-là pour trouver un panier d’épicerie, poursuivre des traitements pour le VIH, pour bénéficier des services sociaux, également qu’elle réside en plein cœur de son quadrilatère.
insensibilité aux besoins fondamentaux
un droit qui suffoque
destruction de la vie sociale
[Texte]
Le Code criminel et la Charte canadienne prévoient qu’une personne arrêtée et qui comparait devant le tribunal doit être remise en liberté sans condition avant son procès.
De façon exceptionnelle, des conditions raisonnables et réalistes peuvent être imposées pour assurer la présence du prévenu au procès ou protéger la sécurité du public.
En pratique cependant, plus de 95% des personnes qui comparaissent détenues sont libérées avec conditions et celles-ci sont souvent déraisonnables et imposées de façon arbitraire à des personnes qui, avant procès, sont toujours présumées innocentes aux yeux de la loi.
Par exemple: l’interdiction de se trouver dans un parc ou dans un périmètre de rues interdits par les conditions, mais fréquentés par les personnes, mène souvent à un bris de condition = infraction contre l’administration de la justice = retour en détention et au tribunal.
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra]
Forcée de retourner dans les lieux deux mois plus tard, Martine va être trouvée en bris de ces conditions au plein cœur de son quadrilatère. Elle va être arrêtée, détenue, remise en liberté avec une interdiction de se trouver dans l’ensemble de l’île de Montréal.
[Image d’une plus grande carte de Montréal montrant la plus grande zone interdite]
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra, avec le texte ci-dessous apparaissant sur le côté]
Durant toute cette période, Martine a peur, elle se sent stressée, elle joue au jeu du chat et de la souris avec les policiers. Elle est constamment surveillée, elle doit quitter son logement, elle est forcée de fréquenter des lieux qu’elle ne connaît pas pour subvenir à ses besoins et trouver des clients notamment. Elle ne peut plus suivre ses traitements pour le VIH de la même façon, qui ne sont pas disponibles à l’extérieur de l’île de Montréal. Quand on lui demande de commenter la situation, Martine nous dit d’un seul trait : « Ils sont à la veille de me demander de marcher sur les mains. »
conditions qui représentent un danger pour la vie
ressentiment et incomprehension
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra, puis narration en voix-off avec le texte ci-dessous apparaissant sur l’écran]
De bris en bris et de défaut de comparaître en défaut de comparaître, Martine aura au total commis sept infractions contre l’administration de la justice pour deux infractions principales et aura passé à travers 85 jours de détention.
Un cercle vicieux, une roue qui tourne
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra]
L’histoire de Martine est loin d’être exceptionnelle. C’est là un seul des nombreux exemples de pratiques injustes et discriminatoires au sein du système de justice pénale. Voilà pourquoi je fais la recherche que je fais.
[Sous-titre]
La recherche en droit nous donne une meilleure compréhension de la complexité des problèmes et nous permet d’établir des ponts entre différentes perspectives
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra]
Je m’inscris dans un processus de savoir engagé pour et par les personnes marginalisées qui sont directement concernées par les problèmes qui sont exposés, et je vais à la rencontre des acteurs judiciaires, que ce soit les juges, les procureurs, les policiers, afin de leur démontrer les résultats de la recherche, ce portrait systémique qu’ils perdent de vue dans le quotidien alors qu’ils sont appelés à traiter les dossiers sur une base individuelle, dans l’espoir de les amener à modifier leurs pratiques.
[Sous-titre]
Pourquoi la recherche en droit est-elle importante ?
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra, avec le texte ci-dessous apparaissant sur le côté]
Ma recherche est importante parce que, malheureusement, le système de justice pénale est souvent le premier, voire le seul système à être appelé à répondre aux problèmes sociaux dans notre société et qu’il est souvent très mal outillé pour le faire. Le projet avec la Commission de la santé et des services sociaux nous a permis de documenter à quel point les Premières Nations au Québec étaient surjudiciarisés. Il y avait une surutilisation d’emprisonnement dans leur cas. On parle de cinq à six fois plus de judiciarisation pour les personnes au sein des communautés des Premières Nations qu’à l’extérieur de la province, et on a démontré comment cette dette judiciaire qu’ils cumulaient et ce renvoi vers l’emprisonnement et l’incarcération nuisaient, étaient contreproductifs, par rapport à leur réhabilitation et aux démarches qu’ils entreprenaient.
La recherche permet de rendre visible :
les limites du système
la surjudiciarisation des populations autochtones
la surutilisation de l’emprisonnement
la dette judiciaire
l’inaptitude des réponses pénales
[Sous-titre]
L’innovation sociale nécessite de travailler directement avec d’autres disciplines et différentes méthodologies
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra]
Pour réaliser mes travaux, je mise sur une alliance interdisciplinaire avec des chercheurs d’autres disciplines, par exemple la criminologie, le travail social et la géographie. J’emprunte à différentes méthodologies, donc des méthodes mixtes à la fois de l’analyse juridique mais également de la méthodologie qualitative et quantitative ; puisqu’on essaie de faire ressortir des pratiques systémiques, souvent on a besoin de chiffres pour pouvoir démontrer ça.
[Sous-titre]
L’innovation sociale nécessite une grande compréhension des milieux de pratique et du fonctionnement global du système
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra pendant que des exemples d’articles de recherche sont affichés sur le côté]
Je conçois ma recherche de façon très locale, donc ancrée dans les milieux de pratique, et dans le cadre de ma recherche, on fait des études de cas sur différents sites urbains, donc par exemple Montréal, Québec, Val d’Or, pour ce qui est du Québec, mais également Vancouver et d’autres villes dont Ottawa également. Et l’avantage de pouvoir comparer, donc c’est essentiellement — d’abord, on approfondit les pratiques locales, mais ensuite on peut voir émerger des grandes tendances au niveau de l’administration de la justice, au niveau des pratiques judiciaires qui ont des ancrages locaux mais qui ont une implication je dirais nationale et plus globale.
[Sous-titre]
L’innovation sociale nécessite de travailler directement avec les communautés en utilisant des méthodologies qui nous permettent d’incorporer leurs voix
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra]
Alors, le projet de recherche avec la Nation Atikamekw nous a permis de mettre en valeur des pratiques et des savoirs traditionnels de résolution des conflits. Elles nous ont permis de démontrer toute la force de la Nation Atikamekw, dont dans la façon de prendre en charge les problèmes de violence au sein des communautés et aussi tout le tort causé par la judiciarisation des problèmes sociaux au sein des communautés.
[Sous-titre]
Impacts de la recherche
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra]
Au cours des 15 dernières années, nos travaux de recherche ont contribué directement à la réforme du droit au Québec et au Canada, par exemple, en ce qui concerne la judiciarisation de l’itinérance, en menant un moratoire sur l’emprisonnement pour non-paiement d’amende dans trois villes québécoises mais également en changeant les pratiques de détermination de la peine pour les personnes autochtones, par exemple.
Marie-Eve Sylvestre :
[Devant la caméra, avec le texte ci-dessous apparaissant sur le côté]
Alors, ce que je souhaite pour l’avenir de la recherche sur la régulation des personnes marginalisées, c’est rien de moins que la mise en place de vastes chantiers qui nous permettent de réfléchir aux solutions durables aux problèmes sociaux, qui vont mettre un terme à l’incarcération, à l’emprisonnement pour non-paiement d’amende, notamment, mais également aux pratiques punitives, et qui vont favoriser la déjudiciarisation, la décriminalisation et des réponses communautaires durables et préventives aux problèmes sociaux.
La recherche ouvre de nouveaux horizons vers
Des vastes chantiers d’enquête
Des espaces de réflexion
Des solutions durables aux problèmes sociaux
La fin de l’incarcération de la pauvreté
La déjudiciarisation et la décriminalisation
Des réponses communautaires
Des réponses préventives
[Sous-titre et texte]
Remerciements
Projet itinérance et espaces publics
Céline Bellot
Nicholas Blomley
Véronique Fortin
William Damon
Dominique Bernier
Francis Villeneuve-Ménard
Jessica Gaouette
Alexandre Duchesne-Blondin
Jacob Lavoie
RAPSIM
Clinique Droits Devant
Bernard St-Jacques
Cactus Montréal
Stella
PROUD Ottawa
POWER
PIVOT Legal Society
VANDU
HUSTLE at HiM
Cour municipale de Montréal
Cour provinciale de la Colombie-Britannique
Cour provinciale de l’Ontario
Ministère de la Justice de la Colombie-Britannique
Cour du Québec
Service des poursuites pénales du Canada
Ville de Montréal
Centre communautaire juridique de Montréal
Ligue des droits et libertés du Québec
Projet atikamekw
Conseil de la Nation Atikamekw
Mylène Jaccoud
Ghislain Otis
Anne Fournier
Christian Coocoo
Eva Ottawa
Diane Chilton
Marie-Andrée Denis-Boileau
Marie-Claude Barbeau Le Duc
Isabelle Picard
Autres projets
Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador
Centre d’amitié autochtone de Val d’Or
Edith Cloutier
Sûreté du Québec
Cour municipale de Val d’Or
Organismes subventionnaires
[Logos : Conseil de recherches en sciences humaines du Canada; Emploi et Développement social Canada, Stratégie des partenariats de lutte à l’itinérance; Ministère de la Justice, Canada; Justice Québec; uOttawa]
[Générique]
Chercheuse présentatrice
Marie-Eve Sylvestre
Professeure, Faculté de droit, Section de droit civil
Direction de contenus
Margarida Garcia
Professeure et Vice-doyenne à la recherche, Faculté de droit, Section de droit civil
Cintia Quiroga
Doyenne adjointe à la recherche et Professeure, Faculté de droit
Andrew Kuntze
Stratège en communications pour la recherche, Faculté de droit
Photographie et images
Thalie Beaumont
maps.google.ca
ici.radio-canada.ca
Page Couverture, Red Zones, Cambridge University Press
utah778, istockphoto.com
Musique
No Slope, Freedom Trail Studio
(musique originale remixée pour cette vidéo)
Révision linguistique
Natalie Carter
Traduction
Natalie Carter
Andrew Kuntze
Coordination scientifique
Section de droit civil, Faculté de droit
Université d’Ottawa
Bureau de la recherche, Faculté de droit
Université d’Ottawa
Production
Service d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage (SAEA)
Université d’Ottawa
La réalisation de la série Viv(r)e la recherche en droit a été rendue possible grâce à l’appui financier de la Fondation du droit de l’Ontario.
[Logo : La Fondation du droit de l’Ontario]
www.lawfoundation.on.ca
Bien qu’elle ait obtenu le soutien financier de la Fondation du droit de l’Ontario, l’Université d’Ottawa est seule responsable de l’ensemble du contenu.
[Logo : uOttawa]
droitcivil.uottawa.ca